au jour le jour décider des mouvements

Publié le 28 mai 2009 par Lironjeremy

« Comment vivre sans inconnu devant soi ? », écrit quelque part René Char. Et je me rappelle cette phrase à cause du sentiment que devant moi se profile quelque chose de bien moins aventureux que je ne le voudrais. Bien sur, cet horizon aura sa part d’inconnu, nécessairement. Mais cette part jouera dans un espace étroit en grande part déterminé, comme si on pouvait poser en un geste la vie qui sera la notre sans frémir. Dire : voilà, de cette diversité, de ces possibles, je retire ça et ses alentours, ce sera pour moi le moins mauvais à tout prendre. Bien sur chaque choix nous engage bien plus qu’on ne le voudrait et c’est comme d’accrocher derrière soi des objets lourds, des charges. Oui, prendre en charge quelque chose, se charger de mener sa vie et puis charger la mule. Jusqu’à immobilisation. Planter la mule, son regard hébété de ne plus voir avancer le paysage, de ne plus le pousser du front, de lancer sans plus d’effet le regard, vieux grappin pour amener le monde à soi. Les obligations du métier règleront votre vie à votre place, vous fournissant les couloirs, les cloisons, les horaires strictes qui détermineront depuis où et vers où courir. Remuer, s’agiter, brûler des calories, mais jamais plus bouger vraiment, jamais s’évader, s’évader vraiment, sans arrière pensée, sans calcul. S’évader passionnément de ces évasions lyriques. On avait cru que c’était possible de dessiner rêveusement des lignes d’erre à la surface du globe. Au lieu de ça, signer et laisser dans un même geste une part de nous même, peut-être la plus précieuse, afin de gagner l’autre, de l’entretenir. De s’assurer un toit, une table. S’user à maintenir un peu d’espace pour quelques mouvements. Le plus gênant peut-être c’est toute l’encombrement que ça induit - les obligations - et qui fait comme entraver l’horizon, vous étouffer. Cette saturation d’image, d’objets mouvants, de mouvements même. Ce fractionnement du temps. Ne plus sentir le vide qui vous pose, vous appelle, sa vaste disponibilité. Rêver d’un monde sans trame, sans heures. Pour s’y coucher dessus les bras grand écartés, pour le marcher sans trêve. Etre toujours dans l’effort hâtif de sortir du tumulte, pris dans des pensées brouillonnes, collées aux yeux. Ne pas pouvoir laisser monter en soi le désir du monde à la faveur d’un désœuvrement, d’un ennui, parce qu’on en est déjà gavé, écœuré, encollé. Besoin de vide longtemps, de contemplation, de rêverie plus que de réflexion. De pouvoir au jour le jour décider des mouvements de sa vie.