Ce matin, je devais vous parler de littérature nazie mais ce matin j’ai décidé de vous parler d’autre chose. J’ai un message, oui, un message. Parler de livres vous fait passer pour un binoclard sérieux, et c’est vrai. Mais, en vérité je vous le dis, il m’arrive régulièrement de m’exciter bien plus sur une organisation tactique que sur une structure narrative ; sur un tacle sec et précis que sur une métaphore filée un tant soit peu nouvelle ; sur une frappe qui heurte l’équerre que sur une histoire à deux doigts de toucher une Vérité. Bref, vous l’aurez compris, j’ai vu du football. C’est vrai. (note : prononcer cette phrase avec l’accent du vieux de Charleroi –vidéo ci-dessous.)
J’ai appris la géographie en regardant sur une carte où se trouvait chaque équipe de première division de chacun des principaux pays. J’en choisis une à soutenir et à suivre dans chaque championnat. De l’évident au moins évident. Anderlecht West Ham Ajax Celtic Cologne Porto Parme Marseille et Barcelone, n’en citons que quelques unes. Tout ça est loin, et je ne suis guère plus que jupiler barclay et bbva. Certaines allégeances ont changé : ma belle famille du Real me pousse dans les bras de l’Atletico ; ma belle famille andalouse mais du Real me pousse dans les bras du Betis. En 1992, sans belle famille et pas encore pubère (n’y voyons, je vous en prie, aucun lien), c’était Barcelone. J’aime les joueurs discrets, ceux qui se font remarquer quand ils ne sont pas là. Sans doute pour ça, mes préférés ont souvent été des défenseurs (même si la pureté des frappes de Luc Nilis – vidéo ci-dessous – m’a fait opter, un temps, pour ceux qui étaient dans la lumière. C’est vrai – voir note du premier paragraphe).
En 1992 donc, plutôt que Koeman (défenseur pas du tout discret), Stoitchkov ou Laudrup, c’était Bakero et Guardiola. Ce dernier n’avait que 21 ans, et bien sûr, vous savez tous où il en est aujourd’hui. Je ne pouvais évidemment savoir, à cette époque, que Guardiola resurgirait dans ma vie quelques années plus tard par l’intermède d’Enrique Vila-Matas. Dans le texte « L’art de connaitre des footballeurs » de « Desde la ciudad nerviosa », il explique avoir toujours voulu connaître des joueurs, mais que cette activité lui paraissait extrêmement difficile pour un écrivain jusqu’au jour où surgirent les footeux intellectuels. Certains que son heure était arrivée, il fut invité à dîner avec Miguel Pardeza, alors ailier du Real Saragosse. Mais tandis que Vila-Matas passait son temps à lui donner des conseils pour mieux dribbler, Pardeza voulait causer roman espagnol. Bref : Vila-Matas s’adapta peu à peu aux nécessités de l’art de la conversation avec des footballeurs intellectuels et augmenta le nombre de rencontres. Succédèrent à Pardeza Ernesto Valverde et Andoni Zubizarreta. C’était, à l’époque, nous dit-il, trois as du football intellectuel. Pour former le poker, il ne lui manquait que Pep Guardiola. Et ce fut fait un soir, grâce à David Trueba : Guardiola avait lu Vila-Matas et voulait le rencontrer. Notre écrivain se sentait aussi privilégié que s’il avait rencontré Borges lui-même, et, finalement expert, il ne parla pas de football : la paire discuta Joyce toute la nuit. Vila-Matas dixit.
Tout ça pour dire que l’entraîneur couronné hier soir est un footballeur de grande, grande classe, un homme intelligent et beau (selon madame Fausto et la moitié de l’Espagne, me dit-on), il est très bien doté tactiquement et a même quelques pouvoirs magique qui ont permis à Messi de sauter plus haut que des mecs lui rendant vingt centimètres. Bref, tout, absolument tout indique que Guardiola est ce que nous avons de plus ressemblant à Dieu.
Mais moi, je me rappelle d’un petit gars (1.78 pour sa position, ce n’est pas des masses) que je vis pour la première fois vers 1999. Il jouait alors au poste d’arrière droit et avait une coupe de cheveux à la David Coverdale époque 1987 (vidéo ci-dessous). C’est vrai (voir note du premier paragraphe).
Depuis, rentré dans le jeu, défenseur central, capitaine et toujours ces putains de cheveux. Hier, pour cause de blessures et de suspensions, il a été contraint à retourner, dix ans après, sur le côté droit. On n’a pas vu son adversaire direct de tout le match. Mais lui, on l’a vu arpenter l’entièreté de son flanc, on l’a vu parfois jouer en tant que milieu offensif devant Xavi et Iniesta et on l’a aussi vut juste derrière Messi , en deuxième attaquant, pour le second but. Ubiquité, omniscience. Oubliez Guardiola, oubliez Messi. Tout ça, c’est sans doute grâce aux cheveux. Et voici le message, devant vos yeux ébahis. En vérité, je vous le dis : Dieu s’appelle Puyol.