Bien qu’ils veuillent faire croire le contraire, les éditeurs sont plus soucieux de commerce que de littérature. C’est pourquoi ils publient les œuvres de toutes sortes d’imbéciles, entre lesquels se distinguent deux catégories particulièrement redoutables : Ceux qui crachent sur leur jeunesse et ceux qui l’idéalisent. On trouve les plus magnifiques spécimens de l’une et de l’autre parmi les survivants des guerres et des révolutions. Mais on doit beaucoup pardonner aux anciens combattants. Quand on s’est étripé à Verdun, fusillé à Petrograd ou assassiné en Kabylie, écrire permet d’exorciser ses jours de bruit, de fureur et de sang. Les anciens (1) de mai 1968 n’ont pas cette excuse.
![Mai 68 matraque_imagin1207065570.1242656024.jpg](http://media.paperblog.fr/i/197/1972506/mai-68-L-2.jpeg)
Grand et salubre mouvement social ignoré au profit d’une révolution fantasmée, tel fut Mai 68. Vestales de plus en plus décrépites, les anciens combattants de l’interdit d’interdire et de la plage sous les pavés ne cessent d’entretenir le mythe de la seconde pour mieux étouffer le souvenir du premier. Toute occasion leur est bonne, en particulier les commémorations décennales. Ce quarantième anniversaire (ndlr : l’année dernière) en est la triste illustration. L’avalanche de volumes à laquelle donne lieu cet événement confine à l’obscène. Victor Serge de la rue Gay Lussac, Henri Barbusse du Boul Mich’, Charles Tillon de la cour de la Sorbonne, chacun y va de son autobiographie, de ses mémoires et de ses analyses forcément personnelles. Les uns louent, les autres condamnent et, quarante ans après, le sens des nuances est presque toujours aux abonnés absents.
Je le dis avec tristesse, cette frénésie d’écriture me semble moins relever de la nécessité de témoigner pour l’Histoire que de la panique d’hommes vieillissants (3) prenant, avec retard, conscience qu’ils vont, dans un avenir de plus en plus prévisible, rejoindre les neiges d’antan. C’est le syndrome, bien connu du « Je ne mourrai pas tout entier ». Les clercs se transmettent de génération en génération cette maladie contagieuse mais sans danger. Le pilon se charge, en général, d’en faire disparaître les symptômes.
![Mai 68 voitures1207065649.1242656033.jpg](http://media.paperblog.fr/i/197/1972506/mai-68-L-3.jpeg)
Chambolle
(1) Les « évènements » n’ayant fait que deux morts dont un par accident (ce qui est déjà trop) il serait abusif de parler de rescapés.
(2) En langue de bois dans le texte.
(3) Je remarque que les femmes sont pratiquement absentes de ce raz-de-marée de papier imprimé. C’est tout à leur honneur.