Prêter ses salariés
Lundi soir, des députés UMP ont examiné un projet de loi de Jean-Frédéric Poisson (UMP) qui permettrait à une entreprises de prêter un salarié à une autre, dès lors qu'elle n'en tire pas de bénéfices. Le projet assouplit et précise la situation des groupes d'employeurs, en supprimant notamment la limite de l’appartenance à deux groupements d’employeurs, et ouvre la possibilité aux collectivités territoriales de rejoindre des groupements d'entreprises mixtes. Plus important, le projet modifie le code du travail d'une simple phrase (""Il n’y a pas de but lucratif dans une opération de prêt de main-d’oeuvre quand l’entreprise prêteuse n’en tire pas de bénéfice."), qui permet ainsi d'élargir les conditions de prêts de main d'oeuvre. Jusqu'à lors, seuls les agences travail temporaire, de mannequins et les organismes sportifs y étaient autorisés. Faut-il s'en féliciter ? Les promoteurs de la loi expliquent que "cette disposition permet donc de ne pas rompre le contrat de travail, de donner au salarié une mobilité temporaire enrichissante pour son expérience professionnelle, et enfin, à l’entreprise d’origine de pouvoir retrouver la main d’œuvre compétente, une fois les difficultés économiques surmontées."
Ces assouplissements présentent plusieurs dangers: ils permettront de contourner les droits des salariés, puisque rien ne garantit que les salariés "prêtés" (isolément ou dans un groupement) le même statut que ceux des l’entreprise qui les reçoient. Ils permettront aussi à certaines entreprises de bénéficier d'exonérations de charges, sur les heures supplémentaires notamment, auxquelles elles n'auraient pas eu droit sinon... Le 13 mai dernier, l'un des membres de la Commission Sociales de l'Assemblée exprimait ainsi sa crainte: "Pour ce qui est du prêt de main-d’œuvre à but non lucratif, n’y a-t-il pas un risque que l’entreprise emprunteuse puisse « emprunter » à très bas coût des salariés qu’autrement elle aurait dû payer davantage ?" Enfin, les éventuelles dérives des groupements, comme sur la mobilité imposée aux salarié(e)s d'entreprises en groupement mais de régions différentes, sont mal encadrées.
Travailler malade ou enceinte
Frédéric Lefebvre, le député suppléant de l'Essonne, s'est servi de ce projet pour proposer d'autoriser le travail ... pendant les congés maladies, maternité voire parentaux, grâce au télétravail. La fin des congés en quelque sorte, comme le rappelait Sylvain Lapoix chez Marianne2. Dans son amendement, le député précisait que l'initiative de travailler revenait au salarié, et que l'entreprise ne pouvait s'y opposer (sic !) sauf à prouver une impossibilité matérielle... Quelle est donc la signification du mot "congés" chez Frédéric Lefebvre ? Evidemment, les indemnités éventuelles de congés auraient alors été réduites à due proportion du "temps de travail récupérée"... "L'employeur pourrait également être incité à encourager le passage au télétravail en se voyant offrir une réduction de charges sociales, financée par les économies réalisées par la caisse d'assurance maladie, qui n'aurait plus à verser d'indemnité au télétravailleur" pouvait on lire dans l'exposé des motifs dudit amendement.
Amendement de Frédéric Lefebvre :
"Le salarié pourra demander à son employeur de poursuivre l’exécution de son contrat de travail par télétravail pendant les périodes de congé suivantes :
1° congé consécutif à une maladie ou un accident non professionnel au sens de l’article L. 1226-2 du code du travail ;
2° congé consécutif à une maladie ou un accident professionnel au sens de l’article L. 1226-10 du code du travail ;
3° congé de maternité au sens de l’article L. 1225-17 du code du travail, à l’exception des périodes visées à l’article L. 1225-29 du code du travail, pendant lesquelles le contrat de travail sera nécessairement suspendu ;
4° congé parental d’éducation au sens de l’article L. 1225-47 du code du travail ;
5° congé de présence parentale au sens de l’article L. 1225-62 du code du travail ;
L’employeur ne pourra s’opposer à cette demande, sauf à démontrer que les tâches habituellement exécutées par le salarié ne peuvent l’être que dans les locaux de l’employeur.
Dans les cas visés aux 1°, 2° et 3° ci-dessus, l’exécution du contrat de travail par télétravail devra faire l’objet d’un avis médical favorable.
Son amendement a été retoqué.
Travail atypique
Il a fallu attendre une enquête de la direction des études des ministères du Travail et de l'Emploi (Dares) publiée lundi 25 mai à partir de chiffres remontant à 2005 pour mesurer combien ces discussions sont avant tout des gesticulations infondées. Pendant la campagne présidentielle, on nous expliquait que les 35 heures bridaient le travail, qu'il fallait assouplir ce carcan insupportable, déplafonner et défiscaliser les heures supplémentaires. De fait, le gouvernement a mis en œuvre les assouplissements promis... mais sans effets. On savait depuis peu que la défiscalisation des heures supplémentaires n'a pas survécu à la crise, les heures sup ayant chuté brutalement au premier trimestres 2009, après avoir affaibli l'emploi intérimaire dès avril 2008. Mais ce n'est pas tout. Le carcan n'existait pas ! La Dares vient de confirmer que seuls 37% des salariés français ont des horaires de travail "normaux". Les autres, soit près des deux tiers, travaillent avec des horaires « atypiques », que ce soit de nuit, le week-end, à temps partiel ou à des périodes imprévisibles ou décalées. Près d'un salarié sur 5 cumule "plusieurs contraintes horaires, comme les semaines irrégulières, l'absence de repos hebdomadaire de 48 heures ou les créneaux fixés par l'entreprise sans possibilité de modification."
Dette sociale quand tu nous tiens...
La CADES (Caisse d'amortissement de la dette sociale) avait été créée en 1996 pour prendre en charge, et refinancer au moyen d'emprunts, le déficit grandissant des comptes sociaux. Financée par une Contribution de remboursement de la dette sociale (CRDS), au taux de 0,5 %, assise sur l'ensemble des revenus (activité, remplacement, patrimoine...), cette CADES devait s'éteindre en 2012, mais, déficit oblige, elle doit prolonger son activité jusqu'en 2021 au moins. Deuxième indicateur, le plafond de découvert de trésorerie accordé à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), doit être porté de 18 à 30 milliards avant octobre prochain. Personne ne se demande s'il ne s'agit pas finalement d'un échec de solidarité.
Le gouvernement va évidemment réfléchir à réduire les prestations, notamment de retraite. le Figaro a opportunément rappeler ce mardi que l'Etat devait encore trouver 357 milliards d'euros pour financer la retraite des fonctionnaires, sur un total de 1050 milliards d'euros: "cette somme est théorique. L'État ne devra la débourser effectivement que si, d'ici là, il ne fait aucune nouvelle réforme de retraite des agents publics".
Frédéric Lefebvre invité de RTL (26/05/09)
par rtl-fr