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"Au bout de 40 vins, ça tapisse un peu!" a-t-il lâché au décours du repas-dégustation-marathon qui a suivi la présentation des vins de son domaine.
Cette maxime de Sébastien David, vigneron iconoclaste de Saint-Nicolas de Bourgueil, n'est pas tombée dans le vin d'une oreille d'un sourd. Et je ne pouvais pas manquer de la reprendre à mon compte. Vigneron d'une oreille, attaché au Patrimoine de l'autre, Hurluberlu par certain côtés et blogueur à ses heures, Sébastien David n'a pas les deux pieds dans la même tong lorsqu'il s'agit de travailler. Et ce d'autant qu'il est salarié à mi-temps au domaine familial à Saint-Nicolas, ce qui lui permet en fait de donner libre cours à son inspiration échevelée concernant sa propre production.
Patrimoine SD, c'est un concept de longue haleine. 12 bouteilles pour douze millésimes. Toutes différentes, le contenant comme le contenu. Débutée en 1999, la collection s'achèvera avec le millésime 2010 et sera commercialisée en intégrale dans une caisse bois qui ne sera pas facile à ranger dans la cave, mais qu'il sera avisé de posséder!
Si Sébastien a parfois des airs d'Hurluberlu, sa mémoire ne lui joue aucun tour et il se rappelle très bien s'être fait taillé le vin d'une oreille en pointe lors d'une séance Off-Loire des précédentes rencontres vendéennes. Il n'est pire sourd que celui qui ne veut point entendre le vin d'une oreille, c'est donc avec un plaisir non dissimulé que nous effectuerons une dégustation quasi-intégrale de sa production sous le patio du Chai Carlina.
On commence en douceur, avec une réjouissante trilogie d'Hurluberlus, du Cabernet franc en macération carbonique, du vin de soif, idéal pour se préparer les papilles.
- l'hurluberlu 2008: robe colorée, nez épicé, fruité, avec une pointe de végétal pour le croquant en bouche, une belle acidité et de la fraicheur.****
- l'hurluberlu 2007: très joli nez fruité, une pointe de gaz, tanins harmonisés et fondus, une belle fluidité en bouche, malgré la concentration, et une grande fraicheur finale. Très bon!***
- l'hurluberlu 2006: nez superbe, de plus en plus complexe et harmonieux, très fin. Un vin que l'on a envie de boire, avec des tanins suaves et patinés, mais qui ne se départit pas de sa fraicheur tonique. Un régal!****
On enchaine par une superbe verticale collector: ATRIMOINE. Ou plus exactement ENIOMIRTA, par ordre décroissant des millésimes. Premium laissée en cave, car en voie d'épuisement, les exemplaires restants étant réservés pour le coffret collector. S 2009 et D 2010 pas encore vendangés, ont été excusés. N 2007 et E 2008 prélevés sur fût et n'étant pas encore officiellement baptisés, ils seront appelés par leurs noms de code.
- E 2008: nez très épicé, bouche dense, serrée, aux tanins juteux. Très beau!****
- N 2007: nez légèrement boisé, mais très fin. Bouche suave, aux tanins enrobés, support d'une belle acidité remplie de fraicheur. Belle longueur et encore une fois un très beau vin.****
- IN VIVO 2006: mise en bouteille fin novembre 2008, le point final d'une année particulièrement difficile et à faible rendement (17-20 hl/ha). Du vin, il y en a dans cette bouteille, avec un nez très fruité, cassis et fruits noirs. Bouche dense aux tanins serrés, avec une pointe d'amertume finale. Il faut la laisser se fondre.**(*)
- Orion 2005: un millésime trop facile à faire, puisque le vigneron n'avait rien à faire! Avec le recul, on ne s'en plaindra néanmoins pas. Le nez est très ouvert, un peu bordelais, sur la boite à cigares. Belle matière fondue, au grain fin, texture patinée, gardant beaucoup de fraicheur.****
- Mi-Chemin 2004: le concept Patrimoine parvenu à la moitié, d'où le nom de la cuvée. Un vin très cabernet, archétypique de Saint-Nicolas parait-il, au nez terreux, sur le poivron bien mûr, avec un rien de végétal. La bouche poivronne aussi légèrement, les tanins sont bien en place, avec une bonne accroche finale. Un vin rustique au sens noble!***
- Idylle 2003: l'année du mariage, avant celle de la canicule. Nez torréfié, très bordelais. Une bouche tanique fraiche, du début à la fin. Le millésime a été bien maitrisé.***
- Razines 2002: les razines, ce sont les traces laissées sur le sol par les charrues et, de fait, ce vin est assez terrien. Sans trace d'évolution notable, toutefois. La bouche est patinée, possédant une belle fluidité.***
- Thyrse 2001: un symbole antique en forme de cep de vigne et une bouteille défectueuse. Notes de champignon au nez et bouche déstructurée. Une altération probable due au bouchon, qui s'est amplifiée après carafage. Thyrse for fears, ou la bouteille de la peur! Shout! Shout!
- Ancestrale 2000: nez sur le cassis, avec des notes d'évolution, presque tertiaires. Relative souplesse en bouche avec une finale végétale. Un vin déjà évolué.**
Crédit photo PhR pour La Pipette
On y arrive, à cet autre concept pas banal qui m'a mis la puce au vin d'une oreille. Parti de la volonté de refaire un Saint-Nicolas à l'ancienne, un vin à la grande ossature, destiné à un long vieillissement. Pas une véritable recherche d'extraction, mais plutôt une infusion lente par pigeage doux aux pieds, en tapotant le chapeau pour faire remonter gentiment le jus. Elevage long avec zéro soufre, cette cuvée n'est produite que lorsque le millésime et les conditions d'élevage le permettent. 2008 en prend bien le chemin. Un vin qui nécessite une grande écoute et un feeling du diable.
Nous ne goûterons qu'aux millésimes plus anciens, les trois élaborés jusqu'à présent:
- Vin d'une oreille 2005: nez plutôt boisé, charge tannique imposante en bouche, grosse mâche finale, structure dense et serrée.***
- Vin d'une oreille 2004: nez un peu végétal, bouche compacte et massive, très tannique en finale.**(*)
- Vin d'une oreille 2002: il possède une relative fraicheur et un caractère acidulé qui le rendent plus accessible que les précédents, plus harmonieux aussi.***
J'ai été tout ouïe lors de cette superbe dégustation, évitant que ce qui est rentré par le vin d'une oreille ne ressorte par l'autre. Cette cuvée d'une oreille hors normes demande du temps, il faut lui en donner. Pour l'instant, comparée à l'hurluberlu, elle me fait un peu l'impression d'être l'incroyable Hulk! Mais je n'ai toujours pas dit mon dernier mot et je persévérerai dans la dégustation de cette cuvée: ventre affamé n'a point de vin d'une oreille!
Olif
P.S.: Une autre vision de cette dégustation ici.
P.S.2: Sébastien David sera au Off-Vignerons blogueurs de Vinexpo le 22 juin. A ne manquer sous aucun prétexte pour tous ceux qui se trouveront dans le Bordelais à ce moment-là.