Sorti lessivé et frustré du tournage de Spider-Man 3 (sur lequel le studio lui a imposé le personnage de Venom, qu’il déteste), Sam Raimi a décidé de s’accorder une récréation et de contenter ses fans des premiers jours en réalisant un film d’horreur à petit budget, comme à ses débuts. Une annonce qui faisait saliver, mais contrebalancée par la volonté affichée du réalisateur de faire un film accessible à tous, classé PG13 aux Etats-Unis (interdit aux moins de 13 ans, ce qui est souvent synonyme de film mou et consensuel). Mais c’était bien mal connaître le papa des Evil Dead que de douter de sa capacité à assurer le spectacle. Car oui, Jusqu’en Enfer est un pur film de Sam Raimi, un ride génial qui prouvera très vite aux fans hardcores que non, le grand Sam n’a pas vendu son âme aux studios.
Et la claque est énorme et très rapide. En cinq petites minutes d’introduction, Raimi se met le public dans la poche et lui offre ni plus ni moins qu’une des meilleures entrées en matière du cinéma d’horreur de ces dix dernières années. Une ouverture virtuose (c’est d’un dynamisme hallucinant), violente, effrayante et implacable dans laquelle le réalisateur n’hésite pas à transgresser un des tabous les plus virulents du cinéma, la mort d’un enfant. Une fois le public à moitié groggy devant une telle maestria, le titre du film apparaît : Drag me to Hell, ou plutôt Drag me to Paradise pour le spectateur déjà conquis. Et la suite du film ne déçoit pas, Sam Raimi enquillant les séquences de folie à un rythme infernal, laissant à peine le temps au spectateur de respirer. Entre une attaque terriblement efficace dans un parking, un exorcisme qui tourne à la catastrophe ou une plongée dans une tombe fraîche, le film ne laisse pas de répit et s’avère être un tour de grand huit jouissif.
Jouissif. Le mot est lâché. La grande force du film c’est qu’on a constamment l’impression que Raimi a voulu se faire plaisir et faire plaisir à son public. Et en premier lieu à ses fans, qu’il gratifie de (très) nombreux clins d’œil à sa filmographie et en particulier à sa trilogie Evil Dead (il se permet même une petite référence à son fils spirituel Peter Jackson lors d’une scène de repas qui n’est pas sans évoquer celle de Braindead). Lister toutes les références serait bien fastidieux, mais pour faire rapide, on retrouve des possédés au visage déformé qui volent au travers des pièces, un personnage qui avale un œil éjecté de son orbite, du mobilier qui rit au nez des personnages, une héroïne qui se fait attaquer par une entité invisible et qui s’en prend plein la figure du début à la fin. La jolie Alison Lohman assure d’ailleurs avec brio dans le rôle ultra physique de la pauvre Christine, dont le sort n’a rien à envier à celui de Ash : elle est arrosé de divers fluides, gobe une mouche pendant son sommeil, patauge dans la boue, se bat dans un habitacle de voiture, est projetée en l’air et dans tous les recoins de la pièce… Bref, Sam Raimi aime toujours autant martyriser ses acteurs pour le plus grand bonheur du spectateur.
Une réussite qui repose aussi sur une parfaite alchimie entre horreur et comédie. Rarement film n’aura réussi à marier avec autant d’aisance ces deux aspects. La scène la plus représentative de cette maîtrise est celle du parking, au cours de laquelle le spectateur passe par différents états contradictoires en l’espace de quelques minutes : la peur diffuse (le mouchoir volant), puis le sursaut (l’apparition soudaine de la vieille femme), pour terminer sur l’hilarité la plus totale (les coups d’agrafeuse dans la tête et toute la bagarre) sans que cela ne paraisse bizarre. Idem pour la scène où Christine décide de sacrifier son chaton en espérant ainsi amadouer le démon : on est à la fois révolté par la situation et hilare devant le jeu d’Alison Lohman et le jusqu’au-boutisme de Raimi.
Il serait enfin anormal de ne pas citer la réussite technique du film quand on parle de celui-ci. La virtuosité de Raimi est bien présente de bout en bout, alternant les mouvements de grue complexes et rapides à d’autres d’une simplicité hallucinante mais tout aussi efficaces (les gros plans de plus en plus rapprochés sur le visage de l’héroïne lors de la première manifestation du démon) dans une fluidité exemplaire (quelle que soit la rapidité des plans, on n’est jamais perdu). Le travail sonore est lui aussi impressionnant, que ce soit au niveau des effets (bruits stridents, hurlements et voix dissonantes envahissent la salle) ou de l’excellente bande originale de Christopher Young, dynamique et immersive.
Et si on voulait vraiment pinailler, on pourrait avouer que le scénario manque légèrement d’originalité (la plupart des grands événements du film, notamment la fin, sont assez prévisibles) et que certains effets spéciaux sont un peu moins réussis (même si cela participe au côté humoristique et cartoonesque de la chose). Mais ce ne sont que des scories bien vite balayées par le pied monstrueux que l’on prend devant ce tour de manège enthousiasmant et jouissif. Hail to the King, baby !
Note : 9/10