Troisième manche de la procédure ouverte contre le second marché de la rétention ce Jeudi au tribunal administratif de Paris devant le juge des référés.
Il s’agira a priori - mais l’information n’a pas été confirmée - de la même magistrate que lors des audiences précédentes, Mme Labarthe-Vacquier. Elle avait présidée l’audience aussi bien sur la première procédure de référé-précontractuel ayant abouti à une annulation le 30 octobre 2008 à l’intiative du Gisti-ADDE-LDH-ELENA-SAF et sur la seconde procédure qui a été interrompue prématurément par la signature des contrats par le ministre le Dimanche 10 mai et ce alors même qu’une audience été prévue le 13 mai afin de permettre au collectif Respect et à l’Assfam de présenter leurs observations.
La signature des contrats ayant privé d’objet les requêtes en référé précontractuel, elles ont abouti à un non-lieu prononcé par le juge des référés le 13 mai.
Comme le note le professeur Paul Cassia :
“En réalité, le ministre de l’Immigration n’a, en signant les marchés de prestations, fait que différer la solution à donner aux doutes juridiques pesant sur leur légalité, qui seront donc examinés par le juge alors que ces marchés sont en cours d’exécution (ce qui n’est pas de bonne méthode, car il est évidemment préférable que le juge se prononce avant que l’illégalité soit consommée)”.
Le 15 mai, le Gisti, Elena, l’ADDE - soutenue par le SAF - représentées par le cabinet AdDEN, d’une part, et le 18 mai la Cimade représentée par le cabinet Coudray, d’autre part, ont déposé une requête en annulation des contrats assorties d’une requête en suspension de son exécution - ce qu’on appelle dans le jargon un référé “Tropic” (du nom du requérant dans l’arrêt rendu par l’Assemblée du Conseil d’Etat le 16 juillet 2007 ayant consacré ce nouveau recours en appréciation de validité du contrat pour les concurrents évincés).
Ces requêtes posent plusieurs difficultés:
- d’abord un enjeu de la recevabilité de la requête du Gisti et alii - qui avaient été à l’origine de la première annulation de la procédure mais n’ont pas répondu à l’appel d’offres compte tenu de ses modalités qui ne permettent pas une aide et assistance des étrangers reconduits dans l’exercice effectif de leurs droits.
La juridiction administrative n’a encore jamais eu à se pencher sur l’intérêt à agir d’une personne morale n’ayant pas été candidate à un marché mais qui invoque la qualité de concurrent évincé potentiel et qui avait été recevable à contester un premier appel d’offre annulé.
Le Gisti avait aussi le 8 mai déposé avec Elena un référé précontractuel contre le second appel d’offres pour tenter - en vain - de le faire de nouveau suspendre enfin d’empêcher la signature par le ministre. Le SAF et l’ADDE étaient parties intervenantes à la procédure introduite par la Cimade.
- ensuite, les requérantes, en particulier la Cimade, devront démontrer qu’il y a urgence à suspendre les contrats, c’est-à-dire que la signature porte une atteinte grave et immédiate à leurs intérêts, aux intérêts défendus par les requérants ou à un intérêt public. L’appréciation se fait in concreto et les intérêts sont mis en balance.
Il s’agit essentiellement de démontrer l’impact sur le chiffre d’affaire de la Cimadede la perte des 5 des 8 lots (voir les explications de la Cimade sur son financement en réponse aux allégations du ministre) et en terme d’assistance effective des étrangers reconduits dans les CRA à partir du 2 juin.
“En 2007, le total des prestations versées à La Cimade pour la mise en œuvre de la mission d’aide à l’exercice effectif des droits dans les centres de rétention administrative était de 3 440 694 €, soit environ 45% des ressources de l’association. En 2008 ce montant était de 3 970 508 € pour une même proportion dans les ressources de l’association.
Quant à la part de la mission auprès des étrangers retenus dans les actions de l’association, elle représentait, au plan comptable, 46% des missions sociales de La Cimade en 2007. Derrière ce chiffre ce sont plus de 35 000 personnes rencontrées, aidées et accompagnées.”
- enfin, elles doivent établir qu’il existe un doute sérieux sur la légalité des contrats. Les débats porteront donc sur les mêmes points que lors des audiences précédentes (notamment l’objet du marché, le critère de pondération sur la “compréhension des enjeux et les engagements de service“, la limitation des groupements, la rupture d’égalité entre les candidats au bénéfice de l’Assfam et du collectif Respect et la régularisation de la candidature de ce collectif, etc.).
On peut imaginer que la magistrate souhaitera que les débats ne s’étendent pas sur ces questions qui ont déjà été débattues dans de nombreux mémoires et pendant une audience de plus de 3h30.
Dans le cadre de cette procédure de référé “Tropic”, le juge des référés peut suspendre les contrats.
Au fond, le tribunal a d’importants pouvoirs. Il s’agit en effet d’un recours de pleine juridiction.
Indépendamment des actions dont les parties au contrat disposent devant le juge du contrat, les concurrents évincés de la conclusion du contrat peuvent donc contester la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses, qui en sont divisibles, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires
S’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, le juge peut apprécier les conséquences à tirer, selon la nature de l’illégalité constatée:
- soit de prononcer la résiliation du contrat ou de modifier certaines de ses clauses,
- soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante,
- soit d’accorder des indemnisations en réparation des droits lésés,
- soit enfin, après avoir vérifié si l’annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général ou aux droits des cocontractants, d’annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat.
Le dossier au fond a été confié à la chambre présidée par M. Formery (3ème chambre de la 3ème section présidée elle-même par Mme Labarthe-Vacquier).
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- Paul Cassia, “L’aide juridique aux étrangers placés en centre de rétention : marché public ou grand bazar ?”, la règle courbe, 17 mai 2009.
- Voir sur “l’ultime recours pour la Cimade” la double page (10 et 11) par Laetitia Van Eeckhout du Monde dans le Direct matin du 27 mai téléchargeable ici