Rocinha et son voisinage aisé
Rio de Janeiro, Brésil.
« S'il vous plaît, si vous apercevez quelqu'un avec un fusil à la main, ne le prenez pas en photo. »
Sur les sages paroles de notre guide, nous entrons de manière brusque dans la plus grande favela de Rio de Janeiro ; à dos de motocyclettes conduites par des fous du guidon !
Des gars nous conduisent au point le plus haut du quartier. C'est comme ça, ici, ils font office de remonte-pente. Assis derrière le chauffeur, je m'agrippe à ce que je peux sans oser me tenir après le gars. À peine le temps de fermer mes doigts sur les petites poignées de métal qu'il met le gaz au fond. À une vitesse folle, dépassant tout le monde à gauche à droite, sens inverse en veux-tu, dans une courbe, entre deux camions, tasse-toi matante, on parcourt la route sinueuse pendant quelques minutes qui déroulent parfois au ralenti. Je pleure de vent dans les yeux. J'ai la face dans la tempête. Je n'ai pas de casque. Faudrait pas que ma mère sache ça.
J'attends les filles avec impatience. C'est une Japonaise qui arrive en deuxième ; elle est blanche comme du riz, incertaine de ses émotions. Elle ne se sentait vraiment pas comme un poisson dans l'eau. Par chance que la situation n'a pas tourné au vinaigre.
J'ai tu le goût de sushi moi ?
Enfin, revenons à ladite favela. Nous sommes en plein cœur de Rocinha, le plus grand bidonville de Rio. Autour de 200 000 habitants qui vivent entassés sur un flanc de montagne dans des conditions qui sont loin d'être exceptionnelles, mais bien moins pires que je m'imaginais. Certaines rues sont asphaltées, les maisons sont presque toutes cimentées et illégalement reliées au réseau électrique. Le problème que je vois, c'est les égouts à ciel ouvert, la gestion des déchets et le manque en eau courante. Ils se débrouillent souvent en récupérant l’eau de pluie, chose que tous devraient faire, mais pour les égouts et les déchets, on repassera. Le guide nous assure que d'autres favelas sont bien plus crasses que celle-ci.
Rocinha est synonyme d'espoir pour ses cinq cents petites sœurs. Elle est l'hôte d'une multitude de petits et plus grands business émergeants des talents cachés sous les préjugés. Je pense entre autres à une organisation de femmes qui emploie maintenant plus de 100 d'entre elles dans la production d'artisanat et dans la couture allant même jusqu'à produire pour de grands designers tel que Paul Smith. (Coopa-Roca) Nous avons personnellement visité un atelier à plus petite échelle de jeunes artistes de la rue qui se sont partis en affaires. Pas mal ce qu'ils font. (ArtFavela)
Reste que le problème majeur des favelas est qu'elles sont en majorité contrôlées par des gangs de trafiquants de drogue. Les amis des amis (Amigos dos Amigos) contrôlent Rocinha, de la vente de drogue jusqu'au câble TV. Imaginez si le câble de Québec était contrôlé par des « badboys ».
« Au programme, ce soir à Radio-Cannabis;
19h00 : Jean-Luc Mongramme en entrevue exclusive à Les Francs Tireurs
20h00 : Maman Dion cuisine la pomme grenade.
21h00 : (Cinéma) Mari a un je ne sais quoi.
23h00 : 110 pour sang »
Je blague, mais la situation n'est pas drôle. Les favelas sont un problème majeur au Brésil. Le petit pourcentage de bandits influence la vie de tous les autres. N'importe quand, une guerre peut éclater dans des favelas où vivent des familles normales et paisibles. Les armes qui, selon notre guide, proviennent du Paraguay, sont parfois de calibre démesuré allant du M-16, au AK-47 jusqu'aux grenades. Certains jeunes dès le très bas âge intègrent le réseau de trafiquants en tant que guetteurs aux entrées de la favela. Armés d'un walkie-talkie, ils peuvent sonner l'alerte d'une présence policière ou de quelconque menace. Ayant fait leurs preuves, ils peuvent alors accéder au poste de vendeurs de drogues, pour ensuite évoluer dans l'organisation d'opérations et enfin, s'il ne sont pas déjà morts ou arrêtés (en moyenne entre 16 et 30 ans), ils pourront peut-être devenir chefs. Bref, beaucoup de possibilités d'avancement.
Sinon, les jeunes normaux font ce qu'ils peuvent pour gagner leur vie malgré la discrimination qu'ils subissent. On nous dit qu'un jeune venant d'une favela est rapidement reconnu par les autres de classe moyenne (entre guillemets) notamment à cause de leur parlé qui est différent. Heureusement que le surf et le football sont là pour unir les jeunes peu importe leur provenance.
-Will