Aucun Père de l'Eglise n'a exprimé avec autant d'intensité qu'Ignace l'ardent désir d'union avec le Christ
et de vie en Lui. C'est pourquoi nous avons lu le passage de l'Evangile sur la vigne qui, selon l'Evangile de Jean, est Jésus. En réalité, en Ignace confluent deux "courants" spirituels:
celui de Paul, entièrement tendu vers l'union avec le Christ, et celui de Jean, concentré sur la vie en Lui. A leur tour, ces deux courants débouchent sur l'imitation du Christ, proclamé
plusieurs fois par Ignace comme "mon" ou "notre Dieu". Ainsi, Ignace supplie les chrétiens de Rome de ne pas empêcher son martyre, car il est impatient d'être "uni au Christ". Et il
explique: "Il est beau pour moi de mourir en allant vers (eis) Jésus Christ, plutôt que de régner jusqu'aux confins de la terre. Je le cherche lui, qui est mort pour moi, je le veux lui,
qui est ressuscité pour moi... Laissez-moi imiter la Passion de mon Dieu!" (Romains 5, 6). On peut saisir dans ces expressions ardentes d'amour le "réalisme" christologique prononcé, typique de
l'Eglise d'Antioche, plus que jamais attentive à l'incarnation du Fils de Dieu et à son humanité véritable et concrète: Jésus Christ, écrit Ignace aux Smyrniotes, "est réellement de la
souche de David", "il est réellement né d'une vierge", "il fut réellement cloué pour nous" (1, 1).
L'irrésistible aspiration d'Ignace vers l'union au Christ donne naissance à une véritable "mystique de
l'unité". Lui-même se définit comme "un homme auquel est confié le devoir de l'unité" (Philadelphiens, 8, 1). Pour Ignace, l'unité est avant tout une prérogative de Dieu qui, existant dans
trois personnes, est Un dans l'unité absolue. Il répète souvent que Dieu est unité, et que ce n'est qu'en Dieu que celle-ci se trouve à l'état pur et originel. L'unité à
réaliser sur cette terre de la part des chrétiens n'est qu'une imitation, la plus conforme possible à l'archétype divin. De cette façon, Ignace arrive à élaborer une vision de l'Eglise qui
rappelle de près certaines des expressions de la Lettre aux Corinthiens de Clément l'Evêque de Rome. "Il est bon pour vous", écrit-il par exemple aux chrétiens d'Ephèse, "de procéder ensemble
en accord avec la pensée de l'Evêque, chose que vous faites déjà. En effet, votre collège des prêtres, à juste titre célèbre, digne de Dieu, est si harmonieusement uni à l'Evêque comme les
cordes à la cithare. C'est pourquoi Jésus Christ est chanté dans votre concorde et dans votre amour symphonique. Et ainsi, un par un, vous devenez un chœur, afin que dans la symphonie de la
concorde, après avoir pris le ton de Dieu dans l'unité, vous chantiez d'une seule voix" (4, 1-2). Et après avoir recommandé aux Smyrniotes de ne "rien entreprendre qui concerne l'Eglise sans
l'évêque" (8, 1), confie à Polycarpe: "J'offre ma vie pour ceux qui sont soumis à l'Evêque, aux prêtres et aux diacres. Puissé-je avec eux être uni à Dieu. Travaillez ensemble les uns
pour les autres, luttez ensemble, courez ensemble, souffrez ensemble, dormez et veillez ensemble comme administrateurs de Dieu, ses assesseurs et ses serviteurs. Cherchez à plaire à Celui pour
lequel vous militez et dont vous recevez la récompense. Qu'aucun de nous ne soit jamais surpris déserteur. Que votre baptême demeure comme un bouclier, la foi comme un casque, la charité comme
une lance, la patience comme une armure" (6, 1-2).
D'une manière générale, on peut percevoir dans les Lettres d'Ignace une sorte de dialectique constante et
féconde entre les deux aspects caractéristiques de la vie chrétienne: d'une part, la structure hiérarchique de la communauté ecclésiale, et de l'autre, l'unité fondamentale qui lie entre
eux les fidèles dans le Christ. Par conséquent, les rôles ne peuvent pas s'opposer. Au contraire, l'insistance sur la communauté des croyants entre eux et avec leurs pasteurs est
continuellement reformulée à travers des images et des analogies éloquentes: la cithare, la corde, l'intonation, le concert, la symphonie. La responsabilité particulière des Evêques, des
prêtres et des diacres dans l'édification de la communauté est évidente. C'est d'abord pour eux que vaut l'invitation à l'amour et à l'unité. "Ne soyez qu'un", écrit Ignace aux Magnésiens, en
reprenant la prière de Jésus lors de la Dernière Cène: "Une seule supplique, un seul esprit, une seule espérance dans l'amour; accourez tous à Jésus Christ comme à l'unique temple de
Dieu, comme à l'unique autel; il est un, et procédant du Père unique, il est demeuré uni à Lui, et il est retourné à Lui dans l'unité" (7, 1-2). Ignace, le premier dans la littérature
chrétienne, attribue à l'Eglise l'adjectif de "catholique", c'est-à-dire "universelle": "Là où est Jésus Christ", affirme-t-il, "là est l'Eglise catholique" (Smyrn. 8, 2). Et c'est
précisément dans le service d'unité à l'Eglise catholique que la communauté chrétienne de Rome exerce une sorte de primat dans l'amour: "A Rome, celle-ci préside, digne de Dieu,
vénérable, digne d'être appelée bienheureuse... Elle préside à la charité, qui reçoit du Christ la loi et porte le nom du Père" (Romains, prologue).
Comme on le voit, Ignace est véritablement le "docteur de l'unité": unité de Dieu et unité du Christ
(au mépris des diverses hérésies qui commençaient à circuler et divisaient l'homme et Dieu dans le Christ), unité de l'Eglise, unité des fidèles "dans la foi et dans la charité, par rapport
auxquelles il n'y a rien de plus excellent" (Smyrn. 6, 1). En définitive, le "réalisme" d'Ignace invite les fidèles d'hier et d'aujourd'hui, il nous invite tous à une synthèse progressive entre
la configuration au Christ (union avec lui, vie en lui) et le dévouement à son Eglise (unité avec l'Evêque, service généreux de la communauté et du monde). Bref, il faut parvenir à une synthèse
entre communion de l'Eglise à l'intérieur d'elle-même et mission proclamation de l'Evangile pour les autres, jusqu'à ce que, à travers une dimension, l'autre parle, et que les croyants soient
toujours davantage "dans la possession de l'esprit indivis, qui est Jésus Christ lui-même" (Magn. 15). En implorant du Seigneur cette "grâce de l'unité", et dans la conviction de
présider à la charité de toute l'Eglise (cf. Romains, prologue), je vous adresse le même souhait que celui qui conclut la lettre d'Ignace aux chrétiens de Tralles: "Aimez-vous l'un
l'autre avec un cœur non divisé. Mon esprit s'offre en sacrifice pour vous, non seulement à présent, mais également lorsqu'il aura rejoint Dieu... Dans le Christ, puissiez-vous être trouvés
sans tache" (13). Et nous prions afin que le Seigneur nous aide à atteindre cette unité et à être enfin trouvés sans tache, car c'est l'amour qui purifie les âmes.
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