Tsai Ming-Liang convoque les visages du cinéma de François Truffaut pour un film difficile à appréhender mais emblématique du style de l’auteur malais.
Le Musée d’Orsay a produit le film parisien de Hou Hsiao Hsien (Le Voyage du ballon rouge), le musée du Louvre produit lui le nouveau film d’un autre grand du cinéma asiatique actuel, Tsai Ming-Liang.
Le cinéaste malais, dont l’essentiel de la carrière s’est construite à Taiwan, revient pour la seconde fois poser sa caméra à Paris. Il y a d’abord eu Et là-bas quelle heure est-il ? (2001), un film qui rend hommage de manière appuyée à François Truffaut et dans lequel on retrouve d’ailleurs au casting Jean-Pierre Léaud. Pour Visage, tourné intégralement à Paris malgré que l’on ne voit rien de la ville, Tsai Ming-Liang ne pouvait que convoquer davantage ses souvenirs du cinéma de Truffaut et sa cinéphilie en générale.
Le titre s’explique peut-être ainsi : le film réunit les visages qui hantent l’oeuvre du réalisateur du Dernier métro. Jean-Pierre Léaud, Fanny Ardant, mais aussi Jeanne Moreau et Nathalie Baye. On entend aussi une partie du Tourbillon de la vie (Jules et Jim) et un photogramme des plans finaux des 400 coups nous est présenté. Il ne manque guère que quelques autres visages, peut-être ceux d’Adjani et Deneuve. En tout cas, Visage rend véritablement hommage aux films de Truffaut.
Du reste, le cinéaste reste fidèle à sa manière à lui de faire du cinéma. Visage ressemble à ce qu’il nous a habitué à faire, un film qui n’est pas narratif et qui se regarde comme une succession de tableaux d’une relative complexité esthétique. C’est ce qui fascine souvent chez Tsai Ming-Liang. Cela dit, même si la richesse picturale de ce film, le travail de composition des plans, est effectivement assez exceptionnel, il reste assez simple et moins impressionniste que ce qu’il a pu faire sur d’autres films comme I don’t want to sleep alone.
Visage est pleinement dans l’esprit des oeuvres passées du réalisateur. On retrouve l’essentiel de ses motifs visuels habituels : les trous, l’humidité etc. Le début du film semble d’ailleurs dans la continuité directe de I don’t want to sleep alone avec une fuite d’eau gigantesque qui inonde totalement un appartement et donne ensuite la sensation que le lit flotte.
Le cinéma de Tsai Ming-Liang est toujours une succession de plans fixes. Les premiers plans de Visage sont assez courts mais le film se déroulant progressivement, les plans-séquences sont de plus en plus longs. Ce principe gâche un peu un film qui dure quand même 2h20 et qui donne au bout d’un moment le sentiment de s’étirer à outrance.
Le film est néanmoins assez fascinant, avec des jeux de cadrages parfois hypnotiques. Le cinéaste jouent avec les miroirs dans une séquence qui dans son dispositif rappelle une scène de La Dame de Shanghaï d’Orson Welles... Et plus tard le personnage de Jean-Pierre Léaud cite justement ce film. D’autres plans fascinent comme cela, notamment se rare plan axé vers l’extérieur : une intersection routière, le périphérique parisien vu selon un angle particulier et qui permet un jeu très intéressant avec le reflet dans la vitre.
D’une manière générale, les plans sont tous ingénieusement élaborés et, dans un en particulier, Tsai Ming-Liang réalise ce dont on le croyait incapable, un mouvement de caméra !
Visage est un film avant tout sensoriel dans lequel se côtoient, se mélangent même, quelques figures du cinéma de Truffaut mais aussi d’autres, tels Amalric ou la sublime Laetitia Casta. Tsai Ming-Liang la filmz selon des postures très dans l’esprit de ce qu’elle pouvait faire lors de sa période de mannequin. Le cinéaste rend hommage à sa beauté et lui offre quelques séquences magnifiques comme celle, à la fin, ou Laetitia Casta se transforme en une sorte de vampire. La scène est assez étrange. Le film distille également quelques autres éléments récurrents du travail de Tsai Ming Liang : des scènes de comédies musicales, des personnages qui se mélangent sexuellement et puis, évidemment, la présence au casting de l’acteur fétiche du réalisateur, Kang Sheng Lee.
De tous les films que Tsai Ming Liang a réalisé, Visage n’est pas le plus difficile dans lequel rentrer. Le film est assez riche d’idées pour exercer une certaine fascination mais reste tout de même un peu compliqué à appréhender. La faute à une langueur excessive et une patience du spectateur qui peut être éprouvée. Visage est malgré tout une des grandes réussites de Tsai Ming-Liang, un film évidemment singulier qui n’est pas destiné à tous les publics mais qui assoit un peu plus la réputation du cinéaste.
Benoît Thevenin
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