Nous reproduisons ici un très bon article de Benoît Vitkine, publié sur le blog du Monde.fr consacré aux
élections européennes (article original ICI). Ou comment la droite sarkozyste, en la
personne de son éminence grise, Claude Guéant, a, par de bas et mesquins calculs électoralistes de courte vue, encouragé la passion communautariste style indigènes de la République, favorisé les
abcès de fixation antisémites, et alimenté le brouet gauchiste/nationaliste/islamiste. Une sinistre tambouille qui rappelle les meilleures heures de l’instrumentalisation du Front National
par la gauche. Écœurant.
Le couperet est tombé le 25 mai à 18 h 47 : parmi les 161 listes déposées au ministère de l’intérieur pour les élections européennes du 7 juin, une seule n’a pas été validée, celle du Rassemblement pour l’initiative citoyenne présentée en Ile-de-France et qui fait encore l’objet d’un contentieux.
Autorisée, donc, la « liste antisioniste » emmenée par l’humoriste Dieudonné. Et oubliées les menaces d’interdiction lancées le 3 mai par Claude Guéant. Ce jour-là, le secrétaire général de l’Elysée avait indiqué sur Radio J que « les pouvoirs publics sont en train de voir si ces initiatives tombent sous le coup de la loi ». « Est-ce qu’on peut se présenter aux élections avec un programme ouvertement antisémite », s’interrogeait le bras droit de Nicolas Sarkozy.
Le lendemain, sur RTL, il précisait qu’une « étude » avait été commandée aux « services des ministères compétents en l’espèce, c’est-à-dire les ministères de l’intérieur et de la justice ». Puis, le black-out. Les commentateurs se sont précipités sur la polémique, les polémistes ont discuté du caractère antisémite de l’antisionisme de Dieudonné… Mais aucun rapport d’étape n’a indiqué où en était « l’étude », aucun fonctionnaire ne s’est exprimé sur les détails de la procédure judiciaire. Jusqu’à ce 25 mai et l’autorisation de la liste antisioniste.
L’initiative de Claude Guéant a échoué dans les grandes largeurs Dieudonné est sorti indemne du feuilleton judiciaire et plus présent que jamais dans l’opinion publique Ce, alors même que la proposition semblait, dès l’origine, vouée à l’échec. Le 4 mai, Véronique Champeil-Desplats, professeur de droit constitutionnel à Paris-X Nanterre, rappelait dans Le Monde.fr que « l’inéligibilité ne figure pas dans les sanctions prévues par les textes de loi relatifs au racisme et à l’antisémitisme ». Dès sa première intervention, sur Radio J, Claude Guéant lui-même confiait ses doutes quant aux chances de succès : « Je ne suis pas sûr que nous parvenions à les interdire ».
La précipitation du secrétaire général de l’Elysée à dévoiler son jeu et la faiblesse du dossier juridique ont immédiatement alimenté les spéculations sur les intentions du gouvernement. « À quoi joue l’Elysée et à quoi joue M. Guéant ? », s’interrogeait le 3 mai Benoît Hamon, le porte-parole du PS. « A quoi cela sert-il et quels sont les calculs derrière cela ? Pourquoi ce coup de pub ? » À demi-mot, nombre de socialistes ont accusé la droite d’avoir propulsé dans les pattes de l’opposition un Dieudonné encombrant et susceptible de grappiller quelques voix à gauche. Les leaders de la majorité ont rétorqué que l’initiative était motivée par le seul souci de lutter contre l’antisémitisme, « fonds de commerce » de Dieudonné. D’ailleurs, assure Xavier Bertrand, ce dernier a par la suite « fait profil bas ».
Aujourd’hui, alors que la polémique est retombée, ceux qui ont observé ce mois de controverses ne trouvent pas toujours pas la clé de l’affaire. Abel Mestre, qui suit pour Le Monde la campagne de Dieudonné se dit « incapable » de définir avec certitude les motivations de Claude Guéant, qui, dès sa première intervention, « semblait dans le flou ». Anne-Sophie Mercier, auteur de La Vérité sur Dieudonné, a elle aussi du mal à comprendre ce « coup de pub » gouvernemental pour une liste dont la notoriété était jusque-là limitée.
Plus étonnant, il est encore impossible de connaître le détail des procédures menées entre le 3 et le 25 mai. Au ministère de l’intérieur, le bureau des élections refuse de communiquer. Le service de presse de la place Beauvau reconnaît seulement que « l’on est à cheval entre le politique et le droit électoral ».
Quant aux partisans de l’intéressé, ils décèlent dans l’affaire une validation de leurs théories. « L’Etat se soumet aux ordres du lobby sioniste en France », commentait au soir du 3 mai Alain Soral, ancien du Front national et proche de Dieudonné. Pierre Panet, le mandataire de la liste, a la même approche : « Claude Guéant a été sommé de dire ce qu’il a dit par les sionistes de la radio communautaire sur laquelle il était invité », assure-t-il. Point de « coup de pub » du gouvernement, selon lui, et les seules « arrière-pensées politiciennes » sont à chercher du côté du PS, qui aurait « tenté de se poser en victime ».
L’affaire trouvera peut-être son épilogue définitif dans les urnes. En même temps qu’il prônait une interdiction, Claude Guéant appelait « tous les gens de bonne volonté » à « condamner moralement » la liste de Dieudonné. Chez ce dernier, on assure qu’un score de 3 %, au soir du 7 juin, serait un « succès ». Au-delà de 5 %, les antisionistes évoquent un « triomphe ».