Football, chirurgie et rendez-vous manqué
Looking for Éric, le film proposé cette année par Ken Loach, est désarmant. Il se suit sans ennui ni passion et j'y ai ris plus d'une fois (la séance de "détente mentale" est irrésistible). Sur le fond, c'est la même histoire que Play it again, Sam, le film de 1972 réalisé par Herbert Ross avec Woody Allen, séducteur timide qui trouvait de l'aide auprès du fantôme d'Humphrey Bogart. Ici, c'est un postier anglais, Éric, la quarantaine sur le retour, qui reconquiert son ex-femme, ses fils et l'estime de lui-même avec le concours de l'ectoplasme d'Éric Cantona. Pourquoi pas ? Le problème est que Loach se contente de refaire des choses déjà vues en mieux au sein même de sa carrière. C'est la même histoire que My name is Joe (1998) ou Raining stones (1993), les aphorismes en plus. Pire, toute cette histoire autour du gang dans lequel est entré l'un des fils et qui finit par terroriser la petite famille fonctionne très mal. J'ai pensé pas mal au Gran Torino de Clint Eastwood, mais là où l'américain en fait le moteur de sa fiction, l'anglais et son scénariste fétiche Paul Laverty plaquent péniblement une intrigue-prétexte, artificielle, comme s'ils n'avaient pas assez confiance en leurs propres personnages. Et puis Cantona... Il faut dire que je suis totalement hermétique à la chose footbalistique. On rit beaucoup avec lui. Il a beau avoir commandité le film, on se demande constamment si c'est du lard ou du cochon et si l'on est pas en train de rire de lui. L'autodérision, les mouettes et les sardines et toutes ces sortes de choses, trouvent leurs limites et tournent au répétitif. Dommage.
Loach et Cantona : source site du film
Question mise en scène, Loach en reste aussi au service minimum, sur un style rôdé. La caméra est assez mobile, toujours très près des personnages, une photographie sans relief donne à l'ensemble un aspect un peu terne. Rien de saillant sauf quelques effets brutaux comme l'irruption de la police lors du repas de famille. J'en suis venu à penser que Loach est plus doué quand il fait se télescoper ce style avec des sujets historiques, créant alors des formes inédites et exaltantes comme l'attaque du village et la réunion politique dans Land and freedom (1995) ou les embuscades de The Wind that Shakes the Barley (Le Vent se lève - 2006). La rencontre du travail intimiste de la caméra et des exigences de l'action épique est nettement plus excitante. De ce que j'ai pu voir, Loach est finalement le seul à avoir donné cette année une oeuvre de routine, assez loin de ses plus belles réussites.
L'après midi, j'ai revu avec plaisir l'ami Joachim qui vous raconte plus à chaud sa semaine sur 365 jours ouvrables. Nous avions décidé de découvrir ensemble le nouvel opus d'Alain Guiraudie, Le roi de l'évasion, mais nous n'avons pu accéder à la séance de la Quinzaine des réalisateurs. Rendez vous manqué, frustrant quand on pense aux difficultés qu'il y a à voir les films de cet auteur en temps normal.
Les yeux sans visage : source Electric sheep
Pour me consoler, j'ai lâchement abandonné mon camarade pour revoir Les yeux sans visage de Georges Franju, l'un des deux ou trois plus beaux films fantastiques français. Réalisé en 1960, ce film est resté sans véritable descendance, même s'il a acquit le statut de classique. La poésie d'Edith Scob, de son masque blanc et de son long cou gracile fascine toujours, comme l'opération du visage continue d'arracher des cris horrifiés au public. Alida Valli est toujours aussi émouvante avec son amour refoulé pour le terrible chirurgien Pierre Brasseur dont le fils, Claude, est à jamais un juvénile inspecteur. Ce qui est amusant aussi, ce sont les divers appareils chirurgicaux, notamment un appareil pour les encéphalogrammes, qui resurgissent pour nous rappeler un passé qui semble si lointain. C'est comme les voitures dans les films de Godard et de Truffaut, elles ajoutent aujourd'hui un charme supplémentaire. La copie a été restaurée par Gaumont et c'est du beau travail qui rend toute la profondeur de la photographie en noir et blanc de Eugen Schüfftan qui avait travaillé avec Fritz Lang. Les noirs sont particulièrement intenses. Je ne me souvenais plus que c'était Maurice Jarre qui avait composé la partition. C'est l'une de ses premières grandes oeuvres pour le cinéma dans laquelle s'affirme déjà un style plutôt moderne (percussions, accents jazz), singulier, bien en phase avec ce conte macabre et intemporel qui n'a rien perdu de son charme ni de son éclat.
(à suivre)