Malgré son bouillonnement constant, Séoul est aussi - parfois - une ville de silence. Au milieu du trafic et de l'agitation, l'intimité des temples, l'étendue des palais, la sérénité des parcs ou la quiétude de certains marchés
sont autant de "refuges" où le voyageur trouve réconfort et apaisement, rendus nécessaires par la sensation d'être, en permanence, dans l'oeil du cyclone. La cité entière semble ainsi essaimer d'improbables poches silencieuses au milieu du tourbillon quotidien, comme pour mieux extraire l'individu d'une solitude qui augmente avec le bruit.
Pour goûter aux vertus régénératrices du silence, on peut aussi, en Corée, se retirer dans l'endroit qui en a fait son sacerdoce : un temple bouddhiste. L'idée fait même l'objet d'un programme complet : l'option "Templestay" permet ainsi aux voyageurs - site web et brochures d'information à l'appui - de "changer sa façon de voir le monde" et de "s'explorer soi-même" en intégrant un lieu de méditation lors d'une expérience "à la carte" (du simple repos au séjour prolongé). Une ouverture salutaire pour celui qui, comme moi, n'a aucune motivation religieuse mais aspire au repos de l'esprit et reste simplement curieux d'autres façons de vivre et d' "habiter" le temps.
La ville a conservé de nombreux temples, mais son splendide écrin naturel (collines boisées, forêts, parcs naturels) offre la possibilité de compléter son expérience monastique d'un rapprochement avec la nature, quasi vital dans cette immense cité. Pour atteindre le temple recommandé par mon hôte coréen, il m'a donc fallu emprunter une savante combinaison de bus longues distances qui, en à peine une heure, m'a déposé aux confins de la ville, là où l'étau de matière desserre définitivement son étreinte pour laisser apparaître les montagnes majestueuses.
Plus que quelques minutes d'ascension et un groupe de randonneurs coréens - dont l'équipement spectaculaire
évoque des ninjas prêts au combat -
me signale sans doute possible l'entrée d'un parc naturel, que confirme la vue d'un torii caractéristique des lieux sacrés. Le piaillement des oiseaux, le tintement des cloches, le souffle du vent, le troublant chant des moines et la vue d'élégants pavillons dispersés au pied des collines me confirme définitivement mon arrivée à destination.
Tout juste échappé de la ville, me voici, en quelques pas, en retrait du monde.
Après avoir montré à une nonne ma demande de séjour (en coréen) redigée par mon hôte je suis présenté à un aspirant... français, en séjour prolongé, qui me conduit immédiatement au "moine responsable de la section internationale", sosie parfait du Dalaï Lama. Chambre de 10 m2 (partagée avec un américain), vêtement ample et règles strictes : ma "nouvelle vie" éphémère (1 nuit sur place) débute par des détails pratiques, tandis que le cérémonial bouddhiste impose son subtil jeu de chaussures, le balai silencieux des portes coulissantes, la prière permanente (en entrant, en sortant, devant Bouddha, lors du repas...) et la conversation à voix basse, voire absente, à l'approche des lieux de méditation. Notez au passage, pour ceux qui tenteraient l'expérience, deux choses à ne jamais emporter dans un temple bouddhiste : des chaussettes trouées et des chaussures à lacets. Pas de problème pour les chaussettes, que l'on ne doit ici jamais retirer (contrairement au bouddhisme japonais), mais mes chaussures de marche à lacets n'ont cessées, tout au long du séjour, d'alourdir mes gestes quand, à l'inverse, mon esprit s'allégeait
Dans le bouddhisme, tout se passe la nuit. Réveillé à 3 h du matin, l'aspirant se conforme, cinq heures durant, à une alternance de séances méditatives, de chants religieux et de prières réellement "sportives" qui donnent à ce rite initiatique des allures d'épreuve physique. La toute première impression est celle d'une brusque expérience de la contrainte où le manque de sommeil, l'inconfort des positions et la répétition de poses inhabituelles révèlent la fragilité du corps et sa difficulté à le glisser dans un moule de postures subitement imposées. La "libération de la souffrance", propre au bouddhisme, passe d'abord par sa perception...!
Mais au fil des prières, des chants et du silence, les difficultés physiques s'évaporent, emportant avec elles l'esprit, soudain "détaché" du corps. L'immobilité contrainte (position "fleur de lotus") - pose difficile au départ - devient progressivement confort et même "ressort", projetant les pensées dans un voyage au coeur de tout ce qui, dans l'existence, apporte sérénité, quiétude et apaisement : les bonheurs d'une vie de famille, les errances d'un voyage intérieur, les plaisirs d'une contemplation... Un recentrage sur l'essentiel, la manifestation d'une pulsion de vie,l'irruption d'une force tranquille qui paraît remonter des profondeurs silencieuses de l'inconscient.
Même si, au final, l'inconfort finit par reprendre le dessus, me contaignant à la mobilité discrète qu'autorise le bouddhisme coréen (plutôt souple sur l'étiquette), je garde une belle impression de ces scéances méditatives (où mon goût de l'observation a fini par reprendre le dessus), de ces repas pris en commun, de ces balades régénératrices en montagnes et des quelques menu travaux à effectuer. Malgré l'apaisement provoqué par ce court séjour, j'ai néanmoins compris que ma "méditation" à moi passait plus sûrement par la marche, le mouvement, la contemplation mobile, la capacité à absorber le chaos des alentours pour, à travers lui, me projeter dans mon propre silence intérieur.
Souvent, d'ailleurs, ces carnets "introspectifs" que je vous adresse ne sont pas rédigés dans la solitude d'une chambre tranquille mais dans le brouhaha des cafés bruyants, sur le banc public d'une artère bondée ou coincé dans la foule d'un transport public, un petit carnet griffoné frénétiquement me servant de table de travail. L'écriture, autre forme de méditation...
Avant de repartir du temple, j'ai grimpé - sur les conseils d'un moine - au sommet de la colline voisine. Vue grandiose depuis la crête : à gauche, la ville en ébullition, prête à m'aspirer de nouveau. A droite, la vallée paisible, propice à la sérénité. Pendant quelques minutes, je me suis ainsi nourri simultanément du fracas du monde et de cette paix intérieure qu'inspire par la nature.
Et puis, d'un pas léger, j'ai entrepris mon retour vers la ville...