Il y a d'abord eu cette prof de français que j'ai eu au collège : madame L. Une femme extraordinaire. Et pourtant, avec elle, nos relations ont très mal débuté : j'étais une véritable bille en grammaire et elle en était férue. J'ai passé des week-end entiers à copier des règles de grammaire, à faire des exercices... et j'ai fini par progresser au point de devenir l'une de ses meilleures élèves au bout des deux années que nous avions passées ensemble. C'est elle qui m'a donné le goût des mots, la curiosité littéraire et l'envie d'écrire. Je garde un souvenir impérissable de cette femme. Je lui dois beaucoup pour le suite de ma scolarité.
Et puis au lycée, il y a eu cette autre prof qui m'a donné, elle, le goût de l'enseignement. Elle rassemblait tout ce que j'aimais : dynamique, intéressante, investie, avec de l'humour, qui savait reconnaître ses erreurs et surtout... qui aimait la matière qu'elle enseignait. Elle s'animait dès qu'on abordait tel ou tel sujet, pleine de ferveur et d'engouement. C'est cette madame F. qui m'a fait dire, un jour : "Je sais ce que je veux faire. Prof. Et la même matière que madame F.C'est sûr. Je veux faire ces études-là après le bac". Je me souviens en avoir parlé avec elle, un jour, et j'avais senti dans son regard une pointe de fierté. Chaque fois que nous nous sommes rencontrées, ensuite, elle a dit à la personne qui l'accompagnait : "tu vois, ça, c'est une petite que j'ai eue au lycée... et qui est prof, de la même matière que moi..." Du coup, nous ne sommes jamais perdues de vue : un coup de téléphone de temps à autre, un mail, une rencontre... Elle a suivi mon cursus universitaire, m'a motivée pour le capes... et même aujourd'hui, elle est encore là.
Finalement, pendant la préparation au sacro-saint CAPES, j'ai rencontré une autre femme pour laquelle je garde aussi une affection particulière : madame N. Une femme au caractère bien trempé, elle aussi. Intransigeante mais juste. Beaucoup n'aimaient pas sa franchise un peu trop "directe". Mais moi, j'ai toujours aimé sa façon de dire les choses, son savoir, les mots qu'elle a su trouver quand j'ai râté le CAPES, la façon dont elle a toujours cru en moi, ses coups de pieds aux fesses dans les moments de découragement, son aide quand j'ai commencé à enseigner... et, avec elle aussi, je suis restée en contact...
Lors de mon dernier stage à l'iufm, j'ai croisé madame F. et madame N. : en face de moi, j'ai eu celle qui m'a donné envie d'être prof et celle qui m'a aidée à le devenir. Deux femmes importantes pour moi, professionnellement, deux femmes qui font que j'exerce ce métier aujourd'hui. Ca m'a fait bizarre d'avoir en face de moi, simultanément, ces deux femmes qui représentent tout ce que je voulais être avant d'enseigner.
Ce qui est amusant c'est que, quand je regarde mes années d'études, ce sont uniquement des femmes profs qui m'ont marquée... On se souvient tous du prof de machin qui était extra, de la prof de truc qui venait d'une autre planète, de ce prof qui avait l'air d'un savant fou et puis il y a ceux pour lesquels on garde une affection particulière, comme je le fais avec mesdames L.,F., et N. Les autres, avec les années, s'effacent tout doucement : les mauvais profs disparaissent de ma mémoire au fur et à mesure des années et les bons subsistent.
Quand on passe de l'autre côté du bureau, quand on est prof, à son tour, on ne se rend pas forcément compte qu'on marquera autant les élèves. Cet élève qui ne prend aucun plaisir à venir à votre cours, quel souvenir de vous et de votre enseignement aura-t-il ? Cette autre élève qui fait des efforts mais dont les résultats ne suivent pas, qu'aura-t-il retenu de cette année passée avec vous ? Celui-ci qui a fait des progrès énormes avec vous, a-t-il conscience du chemin que vous avez parcouru ensemble ?
Et puis, il y a celle qui, en quelques mots, vous a fait ressentir un certain orgueil : au hasard d'un sujet d'expression, elle dévoile que son ambition, c'est de devenir prof de la matière que vous enseignez. Et depuis qu'elle est au collège, cette élève n'a eu que vous dans cette matière. Et là, je me suis sentie dans la peau de madame F. : fière; très fière. Non seulement je lui ai transmis un savoir pendant ces années, mais je lui ai aussi donné le goût de la matière que j'enseigne. En bonus, je l'ai peut-être aidée à trouver sa voie professionnelle.
Il y a des jours, comme ça, qui nous rappellent que oui, de la même façon que nous sommes reconnaissants envers certains de nos professeurs, quelques uns de nos élèves ressentent la même chose à notre encontre... et ça fait vraiment du bien à notre ego de prof.