Anthologie permanente : Edmond Jabès

Par Florence Trocmé

Le fond de l’eau

Je parle de toi
non de ma lampe d’ombre
de mon pas de lévrier
Le vent dans le talon de l’or
le vent dans la margelle du puits
le vent dehors dedans
L’on ne s’entend plus

Je parle de toi
Une foule répond
Des fourmis sans voix sans cris
Et pourtant
le silence tue comme la mort
le silence règne seul à naître

Je parle de toi
et tu n’as pas n’as jamais existé
Tu réponds à mes questions
L’araignée se heurte à l’haleine des monstres
à l’aiguille des robes pressées d’en finir
Le taureau incendie l’arène
où le roi mendie son royaume
tache de sang socle de douleur

La plus haute ce n’est pas toi
Tous les fils de tes prunelles
noués au soleil
Le monde se dépouille
et la face de l’homme hurle au centre
Rien que toi colonne de cendres aux bracelets de jade
et le ruban rouge des iris rongés aux racines
et le turban des îles inconnues qui te coiffe

Je parle de toi
de tes seins à l’avant-garde des prairies
de l’eau claire de tes seins endormis
et des rives qu’elle noie

Je parle
du miroir de tes yeux secrets
toutes les sentinelles du désespoir
toutes les vrilles du versant embaumé
La rue se vide la ruée s’abîme

Je parle de qui je ne connais pas
de qui je ne connaîtrai jamais que les mots
pour toi poupées défigurées

Edmond Jabès, Je bâtis ma demeure, Poèmes 1943-1957, Préface de Gabriel Bounoure, postface de Joseph Guglielmi, Gallimard, 1959, p. 77-78.

Contribution de Tristan Hordé

Edmond Jabès dans Poezibao :
biobibliographie, Didier Cahen, Edmond Jabès (note de lecture), « Au pli du dialogue », un article d’Olivier Goujat : 1, 2 et 3 avec pdf intégralité de l’article), extrait 1, extrait 2