Je me couche tôt. Parfois 22 heures. Après avoir changé la litière du chat. C’est le dernier meuble de l’appart’. Il s’est rempli depuis la chaise blanche. Chaque semaine, un petit peu. Une vie équilibrée, c’est l’expression qu’elle a utilisé quand je lui ai dis que je dormais bien, que j’avais presque envie d’un petit déjeuner. On était dans la voiture, France Inter à la radio, 8h50 un édito, on allait au bureau. En ce moment on taffe au même endroit. Une vie équilibrée. Elle croit que ça m’énerve. Que je m’ennuie. Mais c’est ce qu’il me faut. Un équilibre. C’est ce qu’il me faut pour quitter le périph’, arrêter de vivre les mêmes trucs : Textos, bisous sur la bouche, ciao. Le chat s’accroche au canapé et je le vire en criant « NON ». Il s’en fout. Je suis tout nu dans le salon, la fin de Without a Trace. De mon imprimante je tire les feuilles A4, j’en fait des boulettes que le chaton chasse, il plante ses dents, s’éclate. Je zappe, j’attends Peggy Sastre sur France 3.
Une vie équilibrée. Où je n’ai envie d’écrire que quand je suis sous la douche. Mais je ne le fais pas, pour ne pas abimer le MacBook. Pour me faire plaisir, elle fait les menus de ma mère, elle essaye les recettes qu’on lui a filées. Ma mère n’a pas eu de filles, alors quand il y en a une à la maison, elle lui apprend à devenir une bonne maitresse de maison comme on faisait en 1947, quand elle est née. Chaque fois que je pense à ma mère, jeune, je pense à Truffaut. Les 400 Coups, cela la définit bien. Et la voir devenir la petite fille modèle à soixante ans passée. C’est marrant.
22H30 c’est comme si il était 04am, avant. Les yeux qui s’affaissent et des idées complètement pourries qui commencent à s’écrire sur l’écran. C’est plus pratique d’avoir une vie équilibrée. Le point culminant de l’inspiration c’est 23h. Sur twittertrends, les expressions les plus utilisées sont les horaires. 04am revient souvent. « 04am, can’t sleep, watchin’ Star Trek ». Les francophones perdront toujours dans le jeu des tendances car l’écriture de l’heure n’est pas universelle. Parfois « 04h », parfois « 4 heures ». Parfois, on n’y arrive même pas.
Peggy fait la moue. Elle me fait penser à ma fiancée, l’air de se faire chier car elle réfléchit à un truc plus intelligent à dire que Joy Sorman ou la binocle de Sexmachin.fr, habillée comme une secrétaire de Mad Men, un peu à côté de la plaque mais avec l’air d’y croire. Alors on y croit. Son rire est gêné, ses cheveux sont carrés et je n’ai pas envie de parler de sa tunique bleue : On va dire que les hommes ne retiennent que les vêtements des femmes, oublient trop vite leurs discours. Je ne sais pas comment était habillée ma fiancée, ce matin, peut-être ce haut rose et une veste de tailleur. Je sais juste qu’elle était inquiète, pour elle, pour nous, qu’elle cherchait à rompre l’équilibre d’une manière ou d’une autre. Elle sait, tout le monde sait, une vie équilibrée, c’est la merde : Parfois. Je ne sais pas parler, je sais à peine écrire, alors je t’attrape la main, la caresse. Je suis doux pour ne pas perdre mon équilibre. C’est toi.