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"Un dieu un animal" Jérôme Ferrari. Roman. Actes Sud, 2009.
Il était parti pour l'Irak où il s'était engagé comme mercenaire. Il avait entraîné dans son aventure son ami d'enfance, Jean-Do. Il est revenu depuis peu dans son village natal, quelque part en Corse. Jean-Do, lui, ne reviendra pas. Sa vie s'est brutalement interrompue lorsqu'un kamikaze s'est fait exploser au checkpoint qu'ils contrôlaient.
Depuis, il erre sans but dans ce village. Lui qui, avant tout cela, avait déjà trouvé si peu de sens à sa vie au point de s'engager dans l'armée, se retrouve aujourd'hui aussi démuni qu'avant, entre ses parents vieillissants et les ruelles de ce village qui lui rappellent sans cesse les souvenirs d'une enfance alors riche en espoirs.
De ces années passées remonte alors en lui un souvenir, celui d'un flirt avec une jeune fille qui venait passer ses vacances ici, Magali, la fille du Russe.
Qu'est-elle devenue après toutes ces années et toutes ces épreuves ? Et s'il reprenait le fil de cette histoire interrompue par ces évènements tragiques ? S'il retrouvait Magali, y aurait-il moyen d'effacer de sa vie cette parenthèse traumatisante et de retrouver, peut-être, l'insouciance des années d'une adolescence perdue ? Lui écrire une lettre, dans l'espoir qu'elle la reçoive, voilà la solution. La retrouver, apprendre ce qu'elle fait, quelle est sa vie. Renouer, peut-être, une relation qui s'était ébauchée près de la fontaine du village quelques années auparavant.
Magali, elle, travaille dans un cabinet de consultants. Ici on ne parle et on ne vit que pour atteindre et dépasser des objectifs dérisoires. La vie se mesure à l'aune des contrats remportés, des résultats, du chiffre d'affaires. Chacun est engagé dans une compétition qui l'oblige à se dépasser et à dépasser ses collègues/adversaires. Une sorte d'élan mystique incite tous ces cadres en costume-cravate et en tailleur à sacrifier leur existence sur l'autel du dieu de l'entreprise, un Moloch invisible qui se repaît de chiffres, de pourcentages et de bilans positifs.
C'est à cette rencontre entre deux formes de violence que nous invite Jérôme Ferrari dans « Un dieu un animal », deux formes de violence qui incarnent à elles seules les inquiétantes dérives de notre société. La violence traditionnelle, celle des armes et du sang, incarnée par ce jeune homme revenu d'Irak, et la violence du monde des affaires, celle des rapports humains au sein des entreprises où seuls les plus performants peuvent survivre. Au travers de ce récit magnifique et dérangeant, Jérôme Ferrari décrit avec lucidité l'impasse dans laquelle se trouve toute une génération sans repères, une génération offerte en sacrifice aux déités de l'argent et de la politique internationale.
Amer constat qui dénonce sans ambigüités les idéaux factices de nos sociétés contemporaines, « Un dieu un animal » nous renvoie une image de nous-mêmes bien peu reluisante et nous donne à réfléchir sur le sens que nous pouvons donner à notre vie. Construit comme un long monologue dans lequel le narrateur (Qui est-il, d'ailleurs, ce narrateur ? Est-il ce Dieu que nous avons délaissé au profit d'autres idoles ?) s'adresse au jeune homme en le tutoyant, ce texte, difficile à appréhender au début, se lit par la suite sans relâche tant la tension y est forte et monte crescendo. Sans chapitres ni paragraphes permettant au lecteur de bénéficier d'une pause, le récit nous entraîne et nous submerge comme une lame de fond. On ressort de ce roman hébété, halluciné par tant de puissance dans l'évocation de ce monde insoutenable qui est pourtant le nôtre.
La prose de Jérôme Ferrari, poétique, mystique, brutale, envoûtante et hypnotique nous porte sans répit dans ce récit brutal et désespéré aux accents de tragédie. Un court roman, certes, mais dont le nombre de pages (une centaine) ne nuit en rien à la densité et à la force du récit.
Un roman essentiel, peut-être l'un des plus marquants qu'il m'ait été donné de lire ces derniers temps.