Aaltra de Benoît Delépine et Gustave Kervern

Par Geouf

Résumé: Parce qu’ils ne se supportaient pas, deux voisins se sont battus et se sont retrouves paraplégiques lorsque la remorque du tracteur de l’un d’entre eux leur est tombée dessus. Bien décidés à réclamer des dommages et intérêts à l’entreprise ayant fabriqué ladite remorque, les deux larrons partent en fauteuil roulant pour la Finlande…

 

En 2004, sept ans après l’oubliable Michael Kael contre la World News Company, Benoît Delépine et son compère Gustave Kervern décident de mettre en scène leur premier film en solo, Aaltra. Aaltra est un road movie à petit budget, hommage aux films du réalisateur finlandais Aki Kaurismaki (connu notamment pour avoir réalisé L’Homme sans Passé, Grand Prix à Cannes en 2002) dont les deux acteurs sont fans, et qui fait d’ailleurs une apparition dans le film. Ainsi, comme dans les films du Finlandais, le rythme est assez lent, les dialogues peu nombreux (les premières 20 minutes sont quasiment muettes), les passages en langue étrangère ne sont pas sous-titrés, et Delépine et Kervern multiplient les plans fixes. Un côté austère renforcé par le choix de filmer en noir et blanc et qui au premier abord rebute quelque peu. Et pourtant, une fois les premiers a priori passés, on s’aperçoit bien vite qu’Aaltra est une véritable petite perle.

Car en passant derrière la camera, les deux compères de Groland n’ont pas abandonné leur humour si particulier. Aaltra est en effet un film très drôle, tout autant que grinçant, évitant avec intelligence le misérabilisme que l’on pouvait craindre d’un tel sujet. Car s’ils sont handicapés et subissent quelques mésaventures pouvant enlever toute foi en l’être humain (ils se font rapidement dépouiller et abandonner en pleine rue par leurs agresseurs), les deux héros du film n’en sont pas moins de gros glandeurs égoïstes abusant continuellement de la gentillesse des gens. Ainsi, dès qu’une âme bienveillante leur vient en aide, ils pressent le citron jusqu’à en avoir extrait tout le jus. Que ce soit en agressant les passants pour leur réclamer de l’argent, en tentant de louer des places de parking pour handicapés, en  vidant le mini bar d’un couple qui les a pris en stop à bord de leur camping car, ou encore en abusant de l’hospitalité d’une famille allemande leur ayant proposé de recharger la batterie du fauteuil électrique de l’un d’entre eux (piqué à une petite vieille un peu plus tôt), les deux héros ne font pas dans la dentelle et se contrefoutent de la bienséance.

Une méchanceté assumée et jouissive qui est source de grands moments de rire, mais aussi de malaise, puisque les deux héros en fauteuil roulant se retrouvent inlassablement abandonnés au bord de la route comme deux chiens errants (voire sur une plage où la marée montante manque de les noyer). Le handicap est ici à la fois source de gags irrésistibles, mais aussi une façon d’ouvrir les yeux des spectateurs sur les difficultés inhérentes au fait de se retrouver en fauteuil, sans que le film ne tombe dans l’overdose lacrymale.Et si leurs mésaventures ne sont souvent dues qu’à leur opportunisme et leur égoïsme, ceux-ci dissimulent le mal-être réel de ces deux hommes ayant tout perdu (plus question de conduire son tracteur pour Kervern ou de remonter sur sa moto pour Delépine). On s’attache donc rapidement à ces deux glandeurs malgré tous leurs défauts, d’autant qu’ils sont tous deux excellemment interprétés par Delépine et Kernern. Leur voyage contribue à les rapprocher petit à petit et à forger des liens d’amitié forts. Et de ville en ville, ils croisent de très nombreuses guests stars venus apporter leur soutien: on peut citer en vrac Benoit Poelvoorde en fan de motocross agressif, Jason Fleming en pilote trop gentil, Bouli Lanners en chanteur finlandais (sa reprise de Sunny de Boney M, qui rappelle le fameux sketch du Viking de Monsieur Manatane, est un des moments les plus hallucinants du film), ou encore Noel Godin (le fameux Entarteur). De petites apparitions jouissives qui apportent du piment à un film qui n’en manque déjà pas. Et la chute finale du long-métrage, aboutissement original et pourtant totalement logique à cette aventure finira d’achever le spectateur par un grand éclat de rire, tout en démontrant que chacun a sa place dans la société, il suffit juste de trouver laquelle.

Petit film passé relativement inaperçu lors de sa sortie, Aaltra mérite qu’on s’attarde sur lui, tant il rue dans les brancards et enfile les scènes cultes comme autant de perles, sacralisant la bêtise et le sans-gêne au rang d’art. Une éclatante réussite.

Note : 8/10

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