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THÉÂTRE
REGARDE, MEURS, SOUVIENS-TOI
Aurélie Ganter
Aliouchka Binder
Olivia Raclot
Du 26 mai et jusqu'au 28 juin
au Théâtre de l'île St Louis, Paris 4e
Un "décor", Ravensbrück... Marie (Aurélie Gantner) est une déportée. (Elles furent au moins 130 000, dont 90 000 comme elle, n'en sont jamais revenues...) Marie est une toute jeune femme, une petite danseuse tchèque qui rêve de devenir actrice... celle qui "meurt" dans la pièce. Trois comédiennes sur scène, trois moments de la vie d'une déportée, trois points de vue pour décrire l'indicible. L'avant-première a fait l'unanimité en mai dernier. Un premier verdict pour cette création de Jean-Louis Bachelet jouée tout ce mois de juin au Théâtre de l'ïle St louis.
Olivia Raclot / joue Dagmara
PHOTO © BEATRICE BERN
Aurélie Gantner / joue Marie
PHOTO © BEATRICE BERN
Aliouchka Binder / joue Macha
PHOTO © BEATRICE BERN
Marie est assise au centre, en tailleur, le visage plongé dans les mains. Marie découvre subitement son visage au public, et éclate d'une rire enfantin. Puis son rire cesse soudain, son expression devient grave, ses yeux se remplissent de larmes.
Plus tard, je serai actrice de théâtre. Je jouerai le rôle d'une Aufseherin... une femelle de ss. Il faudra aussi une actrice pour jouer le rôle de la blockowa, la chef de baraquement; une pour celui de la Schwester, l'infirmière. Il faudrait aussi un homme, pour faire le Schutzhaftlagerführer. Le chef de camp. Il faudra aussi des corbeaux, des arbres, des briques, du barbelé, des haillons...Il me faudra une cravache, un pied de tabouret, une pioche, une pelle, un fouet, un fusil...j'irai au musée d'histoire naturelle pour trouver des poux et des punaises...Il faudra aussi trouver une Schweinerei et une Schmutzstück. Je ferai paraître une annonce: «on recherche une cochonnerie et une ordure pour une pièce de théâtre». Il faudra aussi quelqu'un pour faire la morte. Ce sera une grande fille maigre, sale, tondue, hagarde, la bouche ouverte; personne ne viendra nous la prendre celle-là: toute sa famille aura été massacrée, ses amis aussi. Ce serait bien qu'elle meure sur scène.
Il faudra que ça fasse vrai.
Jean-Louis Bachelet, auteur et Metteur en scène
PHOTO © BEATRICE BERN
"Tout le texte de ma pièce agit en définitive comme un prétexte : les mots, si chargés qu'ils soient de vérité historique, montrent chaque jours leur pauvreté, comme les images d'ailleurs, rendant urgente une véritable rencontre des consciences de chaque un.
C'est pourquoi j'ai toujours soumis l'écriture de mes pièces et leur écriture sur la scène à ce que j'appelle « la tyrannie du corps » : l’élément décisif de cette rencontre des consciences, c'est la présence corporelle de l'acteur sur scène. Les conséquences de ce choix ne résident pas tant dans la suppression de tout décors et accessoires que dans le refus d'instrumentaliser la pièce, en soumettant toute idée de scénographie à la question suivante : « que peut dire le corps de mon acteur à tel instant, dans un tel contexte »?
Mais il y a plus: il me semble en effet que cette « tyrannie du corps » exclut drastiquement tout intervention de symboles, lesquels, comme le notait judicieusement Tarkovsky, enferment l'idée qu'ils évoquent dans une abstraction qui est l'ennemie unique et définitive de toute émotion.
La pièce, plus qu'une fragile tentative de plongée dans l'enfer concentrationnaire par les mots, veut nourrir une réflexion sur la barbarie et la vie. Les comédiennes sont très jeunes, comme l'étaient beaucoup de ces déportées, ainsi que leurs geôlières. Parmi ces dernières, les rescapées se souviennent de Dorothea Binz, une des plus sanguinaires. Elle avait vingt ans. "
La pièce est éditée aux éditions Les provinciales