Fondant au chocolat: l’histoire d’un larcin global et cacaoté

Par Estebe

Nul ne peut plus y échapper. Car partout il se pavane. Au menu des petits bistrots et sur les cartes des tables gastronomiques. Dans la moitié des livres de recettes et sur les fiches cuisine des magazines. Dans les rayons surgelés des supérettes et au dessert de l’anniversaire de ta cousine Raymonde. Partout, partout, partout. Lui, c’est le fondant au chocolat, of course. La douceur la plus populaire de ce début de XXIe siècle. Parfaitement.

Pour les ermites et les Martiens, rappelons le principe. Le fondant au chocolat a le cœur qui coule et la carapace qui croustille. Enfin, normalement. Bien des fois, le cœur ne coule guère, pas plus que la carapace ne croustille. Dans ce cas-là, le fondant ne l’est pas. Du coup, d’aucuns l’appellent le moelleux. Oui, le moelleux au chocolat s’avère bien souvent un fondant raté. Mais pas l’inverse.

S’il est devenu une évidence gastronomique, un classique du répertoire, comme la tatin, la Morteau aux lentilles ou la fondue, le fondant au chocolat n’a pas trente ans. N’imaginez donc pas la recette patrimoniale que mitonnaient nos aïeules le dimanche au fond de leurs cavernes. Il est né en 1981 dans l’Aubrac, en Aveyron, Massif Central, France, Europe alignée, grâce à l’opiniâtreté créative d’un grand chef nommé Michel Bras. L’immense Bras. Le wonder Bras.

«Tout est parti d’une émotion», nous raconte le cuisinier au téléphone. «Un retour à la maison après une sortie de ski de fond, par un temps exécrable. La famille, gelée, transie, muette, s’est attablée autour d’un chocolat chaud. Puis peu à peu, sous l’effet de la chaleur et du cacao, les langues se sont déliées, l’ambiance s’est réchauffée. Ce moment m’a fasciné. J’ai cherché à le retranscrire en cuisine

A partir de là, le chef et sa brigade travaillent près de deux ans pour mettre au point le dessert. Testent. Expérimentent. Remettent cent fois la ganache sur le métier. «Pour cette recette, on peut parler d’ouvrage, tant la traduction technique de cette évocation a été difficile à germer, à se poser

Et un beau jour, après des mois de «fièvre» en cuisine, bingo! Le «biscuit de chocolat coulant» est né. La technique? Complexe. Résumons. Le noyau, une ganache de chocolat, est congelé, façon glaçon. Puis intégré dans un moule, au cœur d’une pâte à biscuit. Deux matières distinctes. Deux textures. Deux températures. Un succès planétaire.

Au fil des années, la trouvaille magnifique de Bras se retrouve donc copiée, diffusée, déclinée, banalisée, industrialisée. Il y aura même un procès en paternité contre une société d’agroalimentaire; procès gagné par Michel Bras.
L’humanité gourmande, la goulette pleine de chocolat coulant, oublie vite le nom de son créateur. Ingrate. De même, la technique longuement échafaudée par le chef de Laguiole passe à l’as dans les cuisines pro ou domestiques, au profit d’une seule pâte à biscuit, cuite dehors, crue dedans. Parfois réalisée maison et avec amour. Souvent commandée toute prête sur un catalogue professionnel par les restaurateurs.
C’est que le fondant, même techniquement édulcoré, demeure une alchimie délicate, même pour un pâtissier aguerri.

Michel Bras, qui travaille désormais avec son fils Sébastien, ne s’émeut pas tant que ça du hold-up collectif. «A l’époque du procès, j’avoue avoir eu mal. Aujourd’hui, on est serein, on plane au-dessus de la mêlée», sourit-t-il. «Après tout, c’est de ma faute, j’ai communiqué la recette. Et puis je repense au jour où le fondant a été mis au point. L’émotion, l’enthousiasme de ce moment-là ne peuvent pas se traduire. Personne ne peut s’accaparer un tel bonheur

Bye, bye, les chinchillas

PS: Une fois, on avait grignoté le plat du jour à Laguiole. C'était bon, merci.