Lorsque, enfant, je participais à des spectacles de danse, l'un des moments que je préférais était celui où l'on enfilait nos costumes juste avant d'entrer en scène. Ces choses un peu bizarres et pas toujours très jolies que sont les tutus, prenaient forme sur nous et devenaient ces instruments magiques sans lesquels les arabesques n'auraient pas eu la même grâce.
Quinze ans plus tard, alors que je travaillais pour le Centre Pompidou, j'ai retrouvé une sensation comparable: c'était lors du montage des expositions, au moment où les oeuvres arrivaient dans leur caisse. Quand on ouvrait ces dernières, je voyais apparaître ces oeuvres qui, jusqu'ici, n'avaient eu pour moi d'existence que dans des livres ou, au mieux, préservées sur le mur blanc d'un musée, lointaines et intouchables. Tout à coup, elles sortaient de leur cercueil, échappaient à leur statut d'images, arrivaient sous nos doigts et s'incarnaient dans une nouvelle vie.
L'autre jour, au Louvre, visitant l'exposition "le Louvre pendant la guerre", c'est avec émotion que je me suis imaginée dans la peau de ceux qui, à la veille de la seconde Guerre mondiale, ont participé à l'évacuation des oeuvres du Louvre et assisté à leur retour, des années plus tard.
Tout un ensemble de photographies y montre, entre autres, la Samothrace emmaillotée telle une naufragée dans des couvertures, un grand Delacroix à même le sol, une pauvre caisse cachant la Joconde et les Rubens de la galerie de Marie de Médicis déposés rudement dans un camion.
On le faisait partir en exil, tout ce peuple d'êtres semi-vivants qui allaient s'endormir pour quelques années et s'apprêtaient à devenir de simples choses stockées dans des caves. Il fallait éteindre, pour les sauvegarder, ces génies du lieu qui veillent sur nous à notre insu.
Les tutus contiennent la promesse de tout un spectacle. Les grandes oeuvres sont celles qui ont cette capacité de s'éveiller quand on les sort de nouveau au jour.