Un auteur doit trouver 20000 euros pour changer les fenêtres de sa maison. Mais où les trouver? Sa femme lui suggère d'écrire un roman, un roman qui rapporte des sous. Peu à peu, grâce à la conjonction de l'actualité politique franco-française et de sa passion des courses hippiques, une idée fait son chemin: pourquoi ne pas écrire quelque chose sur les luttes internes du PS à la veille du Congrès de Reims? D'autant que la Pasionaria socialiste, belle à en faire tourner les têtes, l'unique Ségolène Royal semble être la favorite....de là à faire un parallèle avec les starting boxes d'un départ pour l'Arc de Triomphe, le pas est très vite franchi.
Ni une ni deux, la fièvre du jeu, du pari, des sueurs et du suivi implacable de la carrière du favori, s'empare du narrateur, Henri Norden, qui se lance à corps perdu dans les méandres des courants et des motions, multiples séismes ébranlant chaque jour un peu plus l'appareil socialiste.
C'est avec délectation et sourire aux lèvres, que le lecteur suit la montée d'adrénaline précédant le Congrès de Reims, la description des videos de chaque hérault des motions en compétition, les coulisses des discussions des camarades, la haute voltige des ténors du parti à la tribune du Congrès et à la médiatisation outrancière d'une femme qu'on déteste autant qu'on admire. Les ingrédients d'une tragi-comédie sont présents, mesdames et messieurs faîtes vos jeux et lancez-vous dans la folie de l'incertitude de dernière minute!
Christophe Donner, écrivain et turfiste, s'amuse à mener son lecteur au coeur du monde des parieurs, ceux qui parient sur tout, voire n'importe quoi, du moment qu'il y ait du gain à réaliser et de l'adrénaline à gérer. Henri Norden a un ami bookmaker prêt à prendre son pari et si jamais il devine le nom du prochain premier secrétaire du PS il a des chances non seulement de gagner une belle cagnotte mais aussi de remplacer sans souci les fameuses fenêtres de sa maison pour le plus grand plaisir de son épouse. A l'ombre de des pas de Norden, héros un tantinet désabusé par le monde qui l'entoure, le lecteur entre dans le cercle, parfois glauque et déprimant, des réunions de section, des rencontres entre sections, des meetings et des petites phrases assassines distillées sous le manteau par la presse ou les militants eux-mêmes! Henri est certes désabusé, voire d'une mordante ironie, mais ressent de la tendresse pour les petites mains des sections, les petits rôles essentiels aux rouages de la grande machinerie qu'est le parti, ces petites gens qui croient en des lendemains qui chantent malgré la crise et le verbiage creux des politiques. Certes, la politique est un jeu, un éternel pari sur l'avenir pour l'animal politique qui se lance à corps (et coeur?) perdu(s) dans son océan, mais un jeu que la base prend au sérieux.
Cependant, au fil des rencontres, des échanges de points de vue, des lectures et des visionnages, notre héros demeure angoissé par l'issue de son pari: c'est que l'observation de ces prédateurs d'idées peut embrouiller les certitudes et les fragiliser les choix! Tenez, prenez le jeune Benoît Hamon, une valeur montante, à la gauche du parti: il a été à la tête des Jeunes Socialistes et a de bonnes chances d'être un outsider de poids dans la course au fauteuil de la rue Solférino! Son discours sur la crise mondiale peut ébranler les caciques et galvaniser les indécis! N'oubliez surtout pas la diva mystique du parti, d'autant plus adulée par ses fans qu'elle a échoué aux présidentielles et été abandonnée par "le père de ses enfants", celui-là même qui cèdera son fauteuil de premier secrétaire, et les rênes du parti, à l'issue du Congrès de Reims. Aahhh, Ségolène, icône sublime qui fait frémir d'amour notre Henri Norden à mesure qu'elle fait gaffe sur gaffe et qui renvoie au rancart le côté "mémé" de Martine Aubry!
"20000 euros sur Ségo" relate un bal infernal où les valses diaboliques des rancoeurs, des jalousies et des égos survitaminés des uns et des autres, font danser des vérités amères et difficiles à accepter tant elles peuvent glacer le plus fervent supporter. Christophe Donner fait vibrer son lecteur en l'entortillant, par un récit savoureusement ironique, dans la griserie du parieur et l'incertitude d'un sport de haut niveau qui n'est nulle part recensé: la politique!
Le roman de Christophe Donner a l'apparence d'un pamphlet et la saveur d'un exercice de style mêlant la métaphore filée des courses hippiques à l'actualité politique: on rit, parfois jaune si on a un faible pour la Gauche, on savoure les bons mots de l'auteur mais on n'apprend rien sur les hommes et les femmes candidats au poste de premier secrétaire du PS (sauf peut-être qu'ils ne sont guère réceptifs à la littérature mais est-ce vraiment une révélation?)...pour cela il y a la littérature politique!
Un roman satirique, frisant parfois la pure méchanceté, poil à gratter qui fera parler dans le Landerneau socialiste!
Je remercie M.L Auzias et les éditions Grasset pour cette lecture divertissante très acidulée.
Les avis de Lily
Des points de vue plus politiques ici là ou encore ici et là