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Comment les oiseaux s'adapte à la pollution sonore des villes

Publié le 24 mai 2009 par Thedailyplanet

Le gazouillis matutinal pourrait bientôt disparaître. La pollution sonore urbaine perturbe considérablement la vie des oiseaux, qui doivent modifier leurs mélodies pour se faire entendre de leurs congénères.

Lever de soleil sur la ville. Le bref silence de la nuit fait place au faible grondement des voitures, camions et usines, mais un son se fait remarquer par son absence. La chorale familière de l'aube, accompagnée de son riche mélange de mélodies et de cris, n'est plus. A sa place, on entend une musique étonnamment faible – brute, aiguë et parfois stridente. Bienvenue dans le paysage sonore de demain. Il ne s'agit pas d'une vision dystopique mais de la prédiction de scientifiques qui ont étudié les conséquences de la pollution sonore sur la vie des oiseaux urbains. La clameur croissante provenant des villes et des routes peut nous apparaître désagréable mais, pour les oiseaux, elle peut faire la différence entre vie et trépas. Ce fond sonore peut masquer à la fois les bruits des prédateurs en approche et les cris qui annoncent un danger. Il peut également altérer les chances de reproduction des individus, en couvrant les chants que les mâles utilisent pour attirer les femelles et délimiter leur territoire. Les incidences de ce bruit sont désormais indéniables. Certaines espèces ne sont tout simplement plus capables de se faire entendre au-dessus de ce vacarme croissant et se retrouvent piégées en dehors de la ville. D'autres commencent à changer leur mode de communication. A long terme, il se pourrait que de nouvelles espèces apparaissent. Si les niveaux sonores continuent d'augmenter, il est inévitable que la vie des oiseaux urbains change de façon significative. Ces changements sont déjà perceptibles, si l'on sait tendre l'oreille. En voici un exemple révélateur : les oiseaux chantent désormais en dehors des début et fin de journée, moments auxquels ils se manifestaient d'habitude le plus. En ces premières heures du jour, les bruits du vent et autres turbulences sont au plus bas et les sons peuvent donc porter plus loin – mais pas si l'on prend en compte la circulation aux heures de pointe. Richard Fuller, de l'université de Sheffield, au Royaume-Uni, a découvert que certains rouges-gorges ont abandonné leur traditionnel concert matinal et se sont mis à chanter la nuit pour éviter le boucan de la journée. Ce changement a d'abord été imputé aux effets perturbateurs de la pollution lumineuse, mais l'étude du scientifique révèle que les bruits diurnes ont un effet nettement plus important : les quartiers de la ville où il a étudié ces chants nocturnes sont plus bruyants le jour que les autres quartiers. Reste à savoir si chanter la nuit est le moyen le plus efficace pour lutter contre la pollution sonore. Car ce n'est pas la seule option. Les rossignols, quand ils ne chantent pas la nuit, ont choisi une solution qui semble aller à l'encontre de leur délicate mélodie : ils chantent tout simplement plus fort ! Lorsque Henrik Brumm, de l'université de Saint Andrews, au Royaume-Uni, a enregistré le chant des rossignols entre 17 heures et 22 heures, il a constaté que le niveau sonore de celui des oiseaux qui vivent à Berlin est supérieur de 14 décibels acoustiques [dB (A)] à celui du chant de leurs semblables des forêts et atteint plus de 95 dB (A) – une puissance suffisamment élevée pour obliger un humain à se boucher les oreilles. [Le seuil de risque auditif chez l'humain est de 85 dB (A) ; le seuil dangereux pour l'intégrité de l'ouïe humaine se situe à 120 dB (A).] L'intensité du chant des oiseaux est proportionnelle au niveau du fond sonore : ils chantent particulièrement fort le matin.

La mésange charbonnière, une subtile soprano

Ces changements dans l'heure ou l'intensité des chants constituent une solution plutôt évidente au problème, mais certains oiseaux chanteurs ont élaboré une stratégie plus subtile. Le niveau sonore urbain est particulièrement élevé à basse fréquence (entre 1 et 3 kilohertz). En évitant ces basses fréquences, les oiseaux peuvent rendre leur chant plus audible. Les merles, les pinsons chanteurs et les roselins familiers ont tous opté pour cette solution, mais l'expert en la matière reste la mésange charbonnière. Cela fait cinq ans que Hans Slabbekoorn, de l'université de Leyde, aux Pays-Bas, étudie la façon dont ces volatiles s'adaptent aux bruits urbains. Il a découvert que les mésanges vivant dans les zones les plus bruyantes de la ville de Leyde émettent une mélodie dont la fréquence minimale est plus élevée que celle de leurs semblables qui peuplent les quartiers plus calmes. Quand il a étudié les populations de mésanges charbonnières dans dix villes européennes, notamment Londres, Paris et Amsterdam, il s'est aperçu que les mélodies de tous les spécimens étaient plus aiguës que celles de leurs congénères qui ont élu domicile en forêt, et que la fréquence de leur chant s'élevait à environ 3 200 hertz, soit en moyenne 200 hertz de plus. Les mésanges charbonnières des villes chantent non seulement dans une gam­­me de notes plus élevée, mais elles abandonnent aussi les refrains traditionnels de leurs semblables des forêts pour en préférer de plus originaux. Cette capacité à modifier les mélodies est un atout de valeur dans le brouhaha croissant de la ville. A la différence de certains oiseaux qui apprennent leur répertoire entier dans le nid, les mésanges charbonnières et les pinsons chanteurs, entre autres, modifient régulièrement leur chant au cours de leur vie. Ils ont un registre bien plus étoffé qu'il ne le faut et choisissent leur mélodie en fonction du contexte. En jugeant quel chant est le mieux adapté à une circonstance particulière, les individus peuvent se servir de leur expérience et s'adapter aux changements de situation. Ces nouvelles stratégies, dont l'efficacité ne fait aucun doute, peuvent se transmettre aux jeunes, qui apprennent à chanter en imitant leurs voisins expérimentés. Ou alors, les chants peuvent être mieux adaptés par défaut : si les jeunes oiseaux ne peuvent pas entendre les séquences à basse fréquence qu'émettent leurs aînés, ils n'apprendront jamais les mélodies comprenant des notes basses, ce qui pourrait différencier leur chant des répertoires locaux. “Cette souplesse leur donne une grande capacité d'adaptation aux diverses conditions”, indique Hans Slabbekoorn. L'intensité des bruits peut varier considérablement d'une forêt à une autre et les oiseaux qui vivent à côté de zones bruyantes, telles que les cascades et les torrents, chantent également à une fréquence plus élevée, comme leurs congénères des milieux urbains. La flexibilité de leur chant les a rendus capables de supporter les conditions sonores artificielles causées par les humains. Cette plasticité du comportement distingue les espèces qui s'adaptent à la pollution sonore de celles qui luttent pour y survivre. L'augmentation relativement récente des bruits urbains signifie que la plupart des stratégies vocales appliquées par les oiseaux des villes résultent sans doute davantage de réactions apprises que de l'évolution. Il est cependant probable qu'un changement survienne à long terme, à cause du rôle que jouent les chants dans la survie et la reproduction de ces animaux. Les chants sont avant tout un trait caractéristique de la parade sexuelle d'un mâle, qui pousse les femelles à le choisir et augmente ainsi ses chances de se reproduire. Si les femelles en viennent à considérer la capacité à chanter plus fort que les bruits environnants comme un indice de qualité, elles préféreront s'accoupler avec un mâle qui en est capable et cette particularité sera encouragée par la sélection sexuelle. De plus, les individus qui peuvent distinguer les chants des autres oiseaux au milieu des bruits urbains bénéficient également d'un avantage sélectif, qui augmentera finalement leur proportion dans la population. Si leurs facultés à chanter et à entendre en viennent à différer suffisamment de celles des oiseaux des champs, les oiseaux des villes seront alors moins attirés par leurs mélodies, au point peut-être de ne plus les considérer comme des congénères. Ces changements pourraient finalement se transcrire en une distinction génétique entre ces populations urbaines et rurales. Ou alors, différents groupes de la même espèce pourraient adopter des stratégies divergentes pour s'adapter aux bruits urbains, entraînant une séparation au sein d'une population vivant dans le même voisinage [spéciation sympatrique]. “Ce serait fascinant d'observer ce genre de phénomène”, s'enthousiasme Richard Fuller. Ce n'est pas une simple spéculation. Certains ornithologues pensent que le merle européen s'est déjà divisé en sous-espèces, rurale et urbaine, qui se distinguent par la forme de leur corps et leurs comportements. Hans Slabbekoorn et son collègue Erwin Ripmeester s'intéressent maintenant à la façon dont les bruits des villes accentuent cette séparation. Ils utilisent des enregistrements pour déterminer si les merles urbains répondent plus significativement aux chants des individus des villes plutôt qu'à ceux de la campagne. Ils ont également effectué des prélèvements sanguins dans les deux populations et prévoient de rechercher des différences génétiques. “Nous constatons assurément quelques éléments de spéciation, affirme Hans Slabbekoorn, mais nous ne serons probablement plus là pour en voir le résultat final.” Si les merles et les mésanges charbonnières semblent comme d'autres profiter de leur chant modulable pour affronter la cacophonie urbaine, tous les oiseaux n'ont pas cette capacité de s'adapter aux bruits forts et graves. Les grands perdants sont ceux qui dépendent beaucoup, voire exclusivement, des chants sourds et qui sont physiquement incapables d'atteindre des fréquences plus élevées. Les loriots, les coucous, les grandes rousserolles et même les très répandus moineaux domestiques font partie de cette catégorie. Ces moineaux étaient autrefois les visiteurs les plus assidus des parcs et jardins du Royaume-Uni, mais leur population est désormais en chute libre – tendance qui s'observe également sur le continent européen. “Nous n'avons pas vraiment d'explication, mais le bruit pourrait être un facteur, indique Hans Slabbekoorn. Les basses fréquences sont une composante importante du chant des moineaux domestiques.”

Quand le bruit pousse à l'adultère

Les bruits forts peuvent également avoir des effets inattendus – comme pousser les plus fidèles des oiseaux à l'adultère. Par exemple, les diamants mandarins entretiennent une relation monogame grâce à une série de cris qui leur permet de reconnaître et de localiser leur partenaire. John Swaddle, du College of William and Mary, à Williamsburg, aux Etats-Unis, a découvert qu'un environnement sonore bruyant empêchait les femelles d'entendre ces cris. Ce phénomène affaiblit les liens, d'ordinaire très forts, entre les partenaires et incite les femelles à délaisser leur élu au profit d'inconnus. Même au sein des espèces qui semblent s'être adaptées à la pollution sonore, des signes montrent qu'elles font ce qu'elles peuvent et que leur flexibilité a un prix. Les roselins familiers, par exemple, dépensent beaucoup d'énergie à essayer de chanter plus haut pour couvrir les bruits de la ville, ce qui raccourcit leurs mélodies. Leurs congénères femelles préférant les partenaires capables de chanter longtemps, les mâles qui compensent l'environnement sonore pourraient avoir moins de chances de s'accoupler. La mésange charbonnière a tendance à faire admirer son registre vocal à basse fréquence au début de la période de reproduction. Ces notes demandent davantage d'efforts, commente Hans Slabbekoorn. Elles constituent donc un bon indicateur quant à la puissance du chanteur et à son potentiel d'accouplement. Ces sons mélodieux peuvent cependant se perdre dans le vacarme urbain et les mâles vivant dans les villes doivent donc trouver un compromis entre faire forte impression et tout simplement se faire entendre. “Il existe plusieurs facteurs qui influent sur la capacité des oiseaux à s'accoupler dans les villes, mais le bruit a été le plus ignoré de tous”, constate Slabbekoorn. Reste à savoir dans quelle mesure il va modifier la chorale de l'aube, que tout le monde a déjà entendue au moins une fois dans sa vie.

Ed Yong, New Scientist


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