Souvenez-vous : été 2008, des crédits d'un genre particulier faisaient parler d'eux dans les médias. Il s'agissait des produits structurés vendus aux collectivités
territoriales par les banques dans le but de leur permettre de faire de la "gestion active de dette", c'est-à-dire de payer moins d'intérêts tout simplement. Or, les taux de ces
crédits, avantageux les premières années, peuvent ensuite s'envoler dans certains cas, et les remboursements, subséquemment, devenir faramineux, surtout lorsque les marchés sont en
crise comme actuellement. Car, et c'est là le point important, ces taux étaient fixés très fréquemment sur des conditions de marché sans rapport avec l'évolution des recettes des emprunteurs...
Il ne faut donc pas confondre prêts à taux variables (assez classiques) et prêts structurés (nécessitant de grandes connaissances en finance de marché notamment).
Ainsi, on a vu fleurir des prêts dont le taux était basé sur le taux de change d'une monnaie exotique ou même sur l'écart entre divers taux d'intérêt à long et court terme. Autant dire
que personne ne savait vraiment comment cette mécanique fonctionnait précisément ! Même certains banquiers nous ont avoué ne pas comprendre le fonctionnement de ces prêts. Et pour en avoir lu une
notice, je peux vous affirmer que j'en suis resté déconcerté tant la structuration me semblait complexe : je n'imaginais pas que l'ingénierie financière ait pu seulement commercialisé de
tels produits à des collectivités qui n'avaient que très rarement l'expertise nécessaire en interne pour saisir les subtilités de ces contrats...
Or d'après les estimations du cabinet de conseil Finance Active, sur les 100 milliards d'euros de dette des collectivités locales, 19,2 % sont composés de tels prêts. La Cour des
Comptes, qui procède au recensement des prêts toxiques, estime, au vu des premiers résultats, que 35 % des collectivités seraient touchées ! Nous avons ainsi des collectivités qui défraient
désormais la chronique avec leurs difficultés financières liées à ces emprunts risqués :
* au 1er janvier 2009, 92 % des 800 millions d'euros de dette de la Seine-Saint-Denis sont des prêts structurés. Ainsi, comme le déclare Claude Bartolone, président du conseil
général, "le département a bénéficié, pendant trois ans, de taux très faibles, autour de 1,5 %, mais, passé ce délai, nous devons payer un surcoût
estimé, entre 118 et 160 millions d'euros, sur huit ans"
* à Saint-Etienne, la précédente équipe municipale avait, en 2008, accumulé une dette de 380 millions d'euros, dont 70 % de prêts à risques, avec huit prêts "boule de neige" et un crédit adossé à
la livre britannique. Je vous laisse imaginer la situation en cas d'évolution défavorable des marchés...
Certaines collectivités cherchent ainsi à sécuriser leur dette en renégociant ces emprunts toxiques pour les transformer, par exemple, en emprunts à taux fixes. Or,
les banques ne l'entendent pas toujours de cette oreille, craignant de perdre de juteux contrats dans les années à venir. Témoin cette commune souhaitant remplacer l'emprunt de 10 millions
d'euros - à taux variable et qui menaçait de passer de 1 % à 7 % - par un autre à taux fixe de 3 %. La banque lui a alors demandé des frais d'annulation du premier prêt s'élevant à... 10 millions
d'euros ! Les exemples se multiplient et pas seulement dans les collectivités au sens juridique du terme. On pense notamment au Syndicat intercommunal de Saint-Germain-en-Laye (Sidru), qui gère
les déchets. Pour sortir de son crédit de 45 millions d'euros, la banque lui réclamait 28 millions d'euros de pénalités, bien plus que les 6,4 millions économisés les premières années
du prêt !
Certains de mes étudiants ont travaillé sur ces produits dans le cadre d'un dossier de recherche. Ils en ont conclu que les pénalités infligées aux collectivités qui tentent de renégocier leurs
emprunts représentent en moyenne un tiers du capital restant dû !
Alors comment régler ce problème avant que les collectivités territoriales ne soient totalement asphyxiées ? Vous êtes sur planète France, et faites forcément confiance à la morale de vos
cocontractants : signez donc une charte de bonne conduite ! C'est exactement ce qui a été proposé par les ministères de l'intérieur et de l'économie. Les banques (dont Dexia, les Caisses
d'épargne, le Crédit agricole et la Société générale) vont s'engager à ne plus vendre aux collectivités locales les prêts structurés les plus risqués. Comme c'est magnanime de leur part, surtout
après en avoir vendu pendant de longues années et s'être bien remplis les poches. Mais n'en demandons pas trop tout de même : la charte
de bonne conduite, si elle prévoit bien six engagements dont celui d'éliminer les produits les plus dangereux, de mieux informer les emprunteurs sur le coût réel des prêts et de proposer
systématiquement une alternative de prêt classique, n'en reste pas moins basée sur le volontariat !
En définitive, toutes ces chartes signées ces derniers temps avec les banques me font penser à des parchemins vides de contenu (et de sens !). D'où l'image associée à ce texte...