Théâtre de l'Europe ?

Publié le 23 mai 2009 par Theatrummundi

(Cliquez sur la devise pour connaître son histoire. Cliquez ici pour un autre texte sur l'UE)

Je suis allé voir il y a deux jours la dernière représentation à la Comédie de Reims de L’Européenne, de David Lescot, mise en scène par l’auteur. Les acteurs et musiciens sont formidables, le décor en adéquation au propos, les lumières judicieuses, le texte est intelligent et bien construit, le jeu des langues et langages réussi. Un beau spectacle. Je me demande donc pourquoi je m’y suis tellement ennuyé (et je dois à la vérité de dire que les applaudissements nourris du public me font nettement comprendre que je pourrais fort bien être un cas isolé). Il me semble que dans toute cette intelligence et tout ce talent, le théâtre seul a disparu – et, monomaniaque que je suis, c’est à peu près la seule chose qui m’intéresse : On est passé en deçà, et, fait ô combien navrant, cet en deçà du théâtre m’a tout l’air de satisfaire et conforter tout le monde, auteur, acteurs, public. Le spectacle égrène agréablement son chapelet d’insignifiances brèves, dans lequel on ne trouve aucun véritable enjeu politique ou amoureux ; le texte ne manquant pas d’humour ni les acteurs de talent (et vice-versa), on sourit. Mais au cœur de ce sourire et de cette succession de scènes loge l’ennui ; et pire, il est là comme chez lui, dans la mieux intentionnée des compagnies. En achetant à crédit un optimisme dont je suis naturellement peu pourvu, je pourrais me dire que c’est le sujet de la pièce – l’Union bureaucratique Européenne, en gros, dans son rapport aux artistes qu’elle entretient – qui se prête mal au théâtre. Et certes, l’Union Européenne, qui ignore la haute politique, défigure l’Histoire et méprise non sans raison l’art très approximatif qu’elle défend et promeut, ne s’y prête pas. Mais c’est peut-être finalement en cela aussi – de n’offrir à la représentation que sa vacuité, laquelle se trouve être paradoxalement envahissante – qu’elle plaît. Au théâtre comme dans la vie, à la scène comme à la ville en somme, il ne doit plus rien se passer : un conflit, voyez-vous, mesdames et messieurs, c’est toujours et nécessairement barbare, cette acception nouvelle devrait-elle ensevelir l’Histoire tout entière. Non, nous ne voulons plus que de légers désagréments bureaucratiques, des artistes installés – tel celui-là qui, foin de Beethoven ! travaille à écrire un nouvel hymne européen – et des amours certes changeantes mais tout à fait convenues. La plus belle idée du spectacle, toutefois, parce que la plus ambiguë, c’était cette très vieille dame marionnettique sur son lit de douleur, dont on nous racontait en ombre l’histoire – juive polonaise exilée en France… ; cette vieille dame en marionnette, à la fois vivante et morte, et qu’un comédien, à la toute fin du spectacle, faisait danser, à la fois lui réinsufflant vie et manipulant un cadavre.

Il se peut bien que les derniers conflits mondiaux nous aient vraiment laissés sur le carreau, que notre idée ultime de la civilisation soit la mort et que ces rêves qui nous viennent en effet dans le sommeil des morts soient terrifiants d’asepsie. L’UE nous serait alors une manière de luxueux cercueil confortablement rembourré – les élections permettant simplement de choisir la couleur de son intérieur – ; idem, l’écrin du théâtre où tant de glorieux morts (auteurs et personnages ensemble) s’étaient produits. Les mots d’Europe et de théâtre sont en quelque manière conservés lorsque ces choses mêmes ont disparu ; et peut-être ne peut-on plus rien attendre d’autre. R.I.P.

L'Européenne, texte, musique et mise en scène David Lescot avec Marie Dompnier, Scali Delpeyrat, Piera Formenti, Lenka Luptakova, Elizabeth Mazev, Cristiano Nocera, Victor Hugo Pontes, Giovanna Scardoni, Christophe Vandevelde, Virgile Vaugelade, Clément Lendais, Karine Germaix scénographie Alwyne de Dardel lumières Joël Hourbeigt costumes Sylvette Dequest accessoires Philippe Binard direction musicale, chef de chant Virgile Vaugelade
Production Théâtre de la Ville-Paris, Napoli Teatro Festival Italia Coproduction La Comédie de Reims-centre dramatique national, Théâtre de l’Union-Centre Dramatique National du Limousin, TnBA-Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, La Compagnie du Kaïros Avec le soutien du Fonds d’Insertion pour Jeunes Artistes Dramatiques/D.R.A.C. et Région Provence-Alpes-Côte d’Azur et du Théâtre des Amandiers - Nanterre


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Je suis allé voir il y a deux jours la dernière représentation à la Comédie de Reims de L’Européenne, de David Lescot, mise en scène par l’auteur. Les acteurs et musiciens sont formidables, le décor en adéquation au propos, les lumières judicieuses, le texte est intelligent et bien construit, le jeu des langues et langages réussi. Un beau spectacle. Je me demande donc pourquoi je m’y suis tellement ennuyé (et je dois à la vérité de dire que les applaudissements nourris du public me font nettement comprendre que je pourrais fort bien être un cas isolé). Il me semble que dans toute cette intelligence et tout ce talent, le théâtre seul a disparu – et, monomaniaque que je suis, c’est à peu près la seule chose qui m’intéresse : On est passé en deçà, et, fait ô combien navrant, cet en deçà du théâtre m’a tout l’air de satisfaire et conforter tout le monde, auteur, acteurs, public. Le spectacle égrène agréablement son chapelet d’insignifiances brèves, dans lequel on ne trouve aucun véritable enjeu politique ou amoureux ; le texte ne manquant pas d’humour ni les acteurs de talent (et vice-versa), on sourit. Mais au cœur de ce sourire et de cette succession de scènes loge l’ennui ; et pire, il est là comme chez lui, dans la mieux intentionnée des compagnies. En achetant à crédit un optimisme dont je suis naturellement peu pourvu, je pourrais me dire que c’est le sujet de la pièce – l’Union bureaucratique Européenne, en gros, dans son rapport aux artistes qu’elle entretient – qui se prête mal au théâtre. Et certes, l’Union Européenne, qui ignore la haute politique, défigure l’Histoire et méprise non sans raison l’art très approximatif qu’elle défend et promeut, ne s’y prête pas. Mais c’est peut-être finalement en cela aussi – de n’offrir à la représentation que sa vacuité, laquelle se trouve être paradoxalement envahissante – qu’elle plaît. Au théâtre comme dans la vie, à la scène comme à la ville en somme, il ne doit plus rien se passer : un conflit, voyez-vous, mesdames et messieurs, c’est toujours et nécessairement barbare, cette acception nouvelle devrait-elle ensevelir l’Histoire tout entière. Non, nous ne voulons plus que de légers désagréments bureaucratiques, des artistes installés – tel celui-là qui, foin de Beethoven ! travaille à écrire un nouvel hymne européen – et des amours certes changeantes mais tout à fait convenues. La plus belle idée du spectacle, toutefois, parce que la plus ambiguë, c’était cette très vieille dame marionnettique sur son lit de douleur, dont on nous racontait en ombre l’histoire – juive polonaise exilée en France… ; cette vieille dame en marionnette, à la fois vivante et morte, et qu’un comédien, à la toute fin du spectacle, faisait danser, à la fois lui réinsufflant vie et manipulant un cadavre.

Il se peut bien que les derniers conflits mondiaux nous aient vraiment laissés sur le carreau, que notre idée ultime de la civilisation soit la mort et que ces rêves qui nous viennent en effet dans le sommeil des morts soient terrifiants d’asepsie. L’UE nous serait alors une manière de luxueux cercueil confortablement rembourré – les élections permettant simplement de choisir la couleur de son intérieur – ; idem, l’écrin du théâtre où tant de glorieux morts (auteurs et personnages ensemble) s’étaient produits. Les mots d’Europe et de théâtre sont en quelque manière conservés lorsque ces choses mêmes ont disparu ; et peut-être ne peut-on plus rien attendre d’autre. R.I.P.

L'Européenne, texte, musique et mise en scène David Lescot avec Marie Dompnier, Scali Delpeyrat, Piera Formenti, Lenka Luptakova, Elizabeth Mazev, Cristiano Nocera, Victor Hugo Pontes, Giovanna Scardoni, Christophe Vandevelde, Virgile Vaugelade, Clément Lendais, Karine Germaix scénographie Alwyne de Dardel lumières Joël Hourbeigt costumes Sylvette Dequest accessoires Philippe Binard direction musicale, chef de chant Virgile Vaugelade
Production Théâtre de la Ville-Paris, Napoli Teatro Festival Italia Coproduction La Comédie de Reims-centre dramatique national, Théâtre de l’Union-Centre Dramatique National du Limousin, TnBA-Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, La Compagnie du Kaïros Avec le soutien du Fonds d’Insertion pour Jeunes Artistes Dramatiques/D.R.A.C. et Région Provence-Alpes-Côte d’Azur et du Théâtre des Amandiers - Nanterre