Pierre-Laurent Aimard, est un pianiste bien connu des amateurs de musique classique, parfaitement ignoré des autres. Un pianiste de renom. Mais Pierre-Laurent Aimard ne se contente pas d’être un interprète. Parfois, quand les œuvres s’y prêtent et que l’envie* s’en fait sentir, il dirige lui-même les musiciens réunis autour de son piano**. Et c’est peu banal.
Comme son nom n’évoquait rien pour moi, je croyais benoîtement aller écouter du Beethoven, les Concertos pour piano n° 2, 1 et 3, plus précisément. Un petit échantillon du premier Beethoven, celui des années 1795-1802, encore empreint de classicisme viennois mais déjà bien reconnaissable.
Quel étonnement, quelle jubilation de voir le pianiste diriger** lui-même la trentaine de musiciens du Chamber Orchestra of Europe, tantôt d’une seule main, d’un signe de tête, par des balancements du torse, des froncements de sourcils ou des roulements d’yeux, tandis que ses mains courent sur le clavier, bondissent et cabriolent selon les mouvements des concertos!
Par un heureux hasard, je m’étais placé tout au bord du balcon à droite de la scène. De mon promontoire, rien ne m’échappe de la gestuelle de cet étrange hybride, mi-pianiste mi-chef d’orchestre. En bas, au parterre, les gens ne voient qu’un dos remuant, des bras brusquement dressés, des coudes qui s’abaissent.
Peut-être y a-t-il un peu de voyeurisme à épier ainsi la cuisine de la musique, à surprendre un geste, une expression destinés à tel ou tel musicien. Mais sinon autant rester chez soi à écouter sagement l’enregistrement****.
Ici, dans le creux du cou de la musique, je suis venu voir Beethoven. Depuis ce perchoir indiscret, on peut presque lire la partition des violons, on surveille le tambour qui tend ses peaux avant de ses frapper. Surtout, on ne perd pas un seul mouvement de ces mains arachnéennes, toujours inquiètes, qui jamais ne se reposent.
Entre deux mouvements le silence se fait. Les archets retombent ou demeurent suspendus dans l’air. Les musiciens écoutent, les yeux clos ou fixant le lointain, la tête penchée d’un côté. Ce silence est autant de Beethoven que les notes qui le précèdent et le suivent. Il en joue, l’installe pour mettre en valeur les motifs rythmiques. Et ce silence, associé à la direction physique du concerto, jette des ponts vers la poésie, mais aussi la danse, le jeu de l’acteur. L’expressivité de la musique déborde de son médium.
Beethoven se qualifiera de Tondichter, « poète des sons ». Pierre-Laurent Aimard incarne cette musique lyrique. Dans une interview, il déclarait espérer apporter quelque chose aux œuvres qu’il interprétait. Pour les concertos pour piano n° 2, 1 et 3 , je crois que c’est fait.
Vous pouvez écouter le début du concerto n°3 par Pierre-Laurent Aimard là :
http://www.cite-musique.fr/francais/evenement.aspx?id=5466
*Il expliquait en 2007 à The Guardian : « Pour être clair, je ne suis pas un chef d’orchestre… J’aime faire de la musique de chambre, faire partie d’un groupe, accompagner du chant, enseigner, parler de musique. En d’autres termes, vivre le phénomène de différents côtés. »
**Ainsi en 2003 il dirigea du clavier des concertos de Mozart, interprétés avec le concours du Chamber Orchestra of Europe. Il expliquait lors d’interviews qu’il ne serait en revanche pas risqué à faire de même pour des œuvres romantiques.
***Rapportons les propos tenus par Pierre-Laurent Aimard sur ces 3 concertos au quotidien The Guardian et repris sur le site de la Cité de la Musique: « du point de vue compositionnel, il n’y a pas encore cette opposition entre l’individu et la masse que l’on trouve dans les concertos romantiques ultérieurs ». Cela rend « plus naturel » de diriger ces concertos au piano.
****L’enregistrement du concert du 30 Avril par France Musique peut encore être écouté sur le site.