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Entretien avec Pierre Larrouturou – Des solutions à la crise

Publié le 23 mai 2009 par Vogelsong @Vogelsong

À la fin de l’année, il y aura 800 000 chômeurs supplémentaires, il faut arrêter les conneries !“, P.Larrouturou tire la sonnette d’alarme à propos de la situation sociale du pays. “Il faut se mettre autour d’une table, deux ou trois mois, discuter et proposer“, il expose notamment des pistes pour sortir de l’ornière libérale, et prendre de vitesse la barbarie qui vient. Au total, un plan qui projette de créer 2 000 000 emplois. Figure atypique d’un PS “bunkerisé” et léthargique, il s’active avec l’”Appel du 2 mai“, démontre à l’aide de ses graphes et d’un ouvrage roboratif. L’entretien est dense, complexe, riche. Au menu, réduction du temps de travail, Europe sociale et régulation mondiale, logement et écologie.

Le parti Socialiste…

larrouturou
Le PS est le trou rempli de serpents, selon les collègues de la gauche européenne“, c’est ainsi qu’est décrite la grande maison de la gauche française. P.Larrouturou n’est pas convaincu par la direction issue du congrès de Reims de novembre 2008. Les intentions de vote aux élections européennes de juin 2009 laissent penser qu’il n’est pas le seul. Il s’étonne “que les dirigeants du PS n’arrivent pas être bousculés par les problèmes de chômage et de précarité“. Le parti fonctionne en vase clos, et ne propose rien de plus que les autres, “comme tous les autres partis, il veut une “Europe qui protège…”“. Un parti petit bras qui dans son dernier plan de relance “ne proposait que 200 000 emplois“, alors que déjà plus de 3 000 000 chômeurs végètent et que point une année exécrable avec 800 000 de plus. La gauche de gouvernement porte aussi une lourde responsabilité dans le virage libéral de la France. Décrédibilisée, incapable de reconnaître ses erreurs, elle ne parvient pas à s’en remettre. Perdre les Européennes, puis les régionales pourrait provoquer l’extinction du parti.

Croissance, productivité et semaine de quatre jours
La croissance est définitivement passée, ceux qui promettent son retour s’en remettent aux oracles. Sur les trente dernières années, le taux moyen par tranche de cinq années est déclinant. Il n’y a aucune raison que cela s’inverse. Les USA, l’étalon, ne devait son point de croissance supplémentaire qu’à son endettement astronomique. Un endettement qui va conduire au fond du gouffre, avec la crise des “surprimes”.
Selon P.Larrouturou, la croissance sans emploi que nous connaissons depuis des décennies est due à la révolution de la productivité, “on a fait plus de productivité sur les 30 dernières années que sur les 3 siècles précédents”. Il y a trente ans la croissance donnait l’emploi, ce n’est plus vrai. Pour atteindre le même niveau, la production industrielle ne nécessite plus le même nombre d’heures de travail, “iI fallait 38 milliards d’heures de travail pour faire tourner l’économie en 1974, on fonctionne avec 34 milliards aujourd’hui, on produit beaucoup plus avec 4 milliards d’heures en moins. De 22 millions à vouloir travailler on est passé à 27 millions“. C’est dans cette optique que P.Larrouturou propose la journée de quatre jours. Les réglementations vont à contresens depuis le début des années 70, où la productivité s’est fortement accrue, alors que le temps de travail, contrairement à ce qui est affirmé par la droite, a stagné. En France aujourd’hui, la durée hebdomadaire du travail est de… 41 heures.
En 1980, le rapport Gireaudet initié par R.Barre et visant à lutter contre le chômage préconisait la baisse de 10% de la durée du travail. En 1993, F.Fillon travaillait (sa carrière) avec P.Seguin qui était favorable à la journée de quatre jours, aujourd’hui il clame la victoire idéologique de la droite en claironnant l’inanité des 35 heures, et est devenu un sinistre sarkozyste. M.Barnier en 1994 sous la plume de N.Dupont-Aignan se prononçait pour un référendum sur la semaine de 32 heures. En 1995 le Rapport Boissonnat proposait une baisse du temps de travail de 20 à 25%.

Emploi et écologie : le levier du logement
Utiliser le fonds de réserve des retraites (F.R.R.) pour investir dans la construction de logements. Il est actuellement placé sur les marchés financiers (-16% les 6 derniers mois). En 2009, selon les statistiques officielles, 100 000 emplois seront détruits dans le secteur du bâtiment. Avec un plan de construction ambitieux, on peut “espérer 200 000 créations d’emplois“. Les Pays-Bas utilisent ce fonds. 50% de l’habitat est géré par des syndicats de coopérative. Les loyers y sont plus bas, les surfaces plus grandes, et il y a moins de mal-logés, “150 euros de loyers en moins, c’est 150 euros de plus pour consommer“.
Une autre voie consiste à être pionnier sur la crise énergétique. Au lieu des recommandations tiédasses du Grenelle de l’environnement sur l’isolation, P.Larrouturou propose, comme J.M.Jancovici, un bilan thermique obligatoire à chaque revente d’immeuble. A la clef, plus de 200 000 emplois.

Part des salaires et répartition : 30 années de régression
La part des salaires a fortement régressé dans le PIB. P.Larrouturou évalue cette baisse à 7% (et non 11% habituellement cité) qui représente “quand même 120 milliards par an qui devraient aller aux salaires, à la consommation et à la sécurité sociale et qui bénéficient aux 0,3% de la population qui ont déjà beaucoup“. L’économiste place le débat, et sur la dignité humaine et le partage des richesses, il s’emporte “vivre avec 500 euros par mois et avoir une vie de con“, et économiquement c’est une mauvaise stratégie macroéconomique, car sans débouché on ne vend pas les biens produits. Malgré le cynisme de certains dirigeants patronaux comme D.Kessler, qu’il cite : “il faut supprimer les SMIC et les assurances chômage, et on verra qui veut travailler !“, P.Larrouturou trouve aussi un écho politique parmi des entrepreneurs qui sont prêts à jouer le jeu, “tous les patrons ne sont pas des salauds. Certains de leurs proches sont aussi au chômage“.

Pour le moment, la mondialisation n’est pas coupable
Pondéré, P.Larrouturou affirme que “c’est une erreur de diagnostic que de dire que c’est à cause de la mondialisation que l’on a autant de chômage et de précarité“. Jusqu’au mois d’avril 2008, la production industrielle sur le territoire national ou européen continuait d’augmenter. De plus, la balance du commerce extérieur extracommunautaire est excédentaire. L’impact de la Chine est aussi à minimiser, puisque qu’elle est un acteur majeur du commerce international en quantité exportée depuis 2004 seulement. La stagnation moyenne des salaires, qui cache une amplitude croissante entre le plus haut et le plus bas de l’échelle, date du début des années 80. Pour P.Larrouturou, l’analyse d’E.Todd “est assez erronée“. Les effets dévastateurs de la mondialisation sont devant nous. Les différentes normes sociales vont amplifier la crise et la paupérisation. Cela peut aboutir à des tensions nationales et internationales extrêmes. Faire pression, “L’Europe doit imposer à la Chine de respecter les règles sociales au sens du BIT” en donnant le temps nécessaire, “trois ans par exemple” pour adapter des règles sociales progressistes et permettre d’éviter une catastrophe globale. La mondialisation n’est pas coupable, pour l’instant. Il faut “l’humaniser” avant qu’elle le devienne.

Processus de sortie de crise
“L’appel du 2 mai”, initié par P.Larrouturou propose une vaste concertation regroupant les politiques, les syndicats salariés et patronaux. À l’inverse de la méthode Sarkozy, “où il convoque trois heures et il parle, puis applique des rustines“. Cette conférence se réunirait pendant 3 mois pour dégager des solutions et des propositions venant de toutes les parties. Les partenaires seront à l’initiative d’un nouveau contrat social qui serait soumis à référendum. Très dubitatif sur la pratique politique du président, P.Larrouturou admet “une chance sur 1000, si cet automne le pays est à feu et à sang que Sarkozy s’oriente vers cette solution“. Néanmoins, même sans ce schéma gouvernemental, le travail de reconstruction sociale et de propositions économiques doit être mené à bien avec toutes les bonnes volontés.

Son modèle P.Mendès-France, prémonitoire en 1930, écrivait qu’une course de vitesse est engagée. Le chaos économique était là, la barbarie pas encore. Pour les “États unis d’Europe”, sa vision était une monnaie unique avec un gouvernement politique qui met toutes les marges de manœuvre sur un projet social. Nous sommes en 1930.

Vogelsong – 22 mai 2009 – Paris


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