Précariser pour faire taire
Pendant la première année de son mandat, Nicolas Sarkozy s'est exercé à mettre en œuvre son programme "de rupture", un joli terme pour désigner la destruction méthodique des filets sociaux du pays : service minimum dans les transports et l'éducation nationale, heures supplémentaires défiscalisées pour assouplir le code du travail, offre raisonnable d'emploi pour sanctionner les chômeurs "récalcitrants", suppression de la dispense de recherche d'emploi pour les plus de 58 ans à compter de 2009, nouvelles franchises médicales, réduction des allocations familiales pour les foyers avec adolescents, fermeture des petits établissements judiciaires et de santé, suppression du critère du handicap pour l'attribution de bourses universitaires, réduction du nombre d'enseignants et de policiers, réduction des RASED, ou privatisation de la Poste à l'horizon 2010. A l'aube du retournement économique, le gouvernement tentait encore de nouvelles pistes de dérégulation sociale, comme le désengagement de la Sécurité sociale des remboursements d'optique, la suppression de la carte famille nombreuse ou le licenciement des fonctionnaires "inaptes". Et l'unique mesure sociale de Nicolas Sarkozy, le RSA, consista à encourager les RMistes à prendre des jobs de caissières ou de manutentionnaires à temps partiel. La France n'avait pas besoin de cette rupture là: les récentes études de l'INSEE sur les inégalités de revenus, quoiqu'incomplets, soulignent combien les salaires nets ont peu progressé depuis 20 ans, et combien les dividendes ont pris le pas sur l'investissement. Pourquoi tant de hargne ? La droite décomplexée avait besoin de rendre à ses nouvelles 200 familles la flexibilité de gestion qui lui faisaient défaut.
La crise a contraint Nicolas Sarkozy a modérer ses vélléités de casse sociale. Face à l'envolée du chômage et l'effondrement du système financier et boursier, le gouvernement a dû se résoudre à maintenir certains filets sociaux (augmentation du nombre de contrats aidés, renoncement à la fin des pré-retraites, distribution de chèques-emplois services à certains foyers modestes, etc). A raison de 4 000 chômeurs supplémentaires par jours, il a fallu faire bonne figure. La crise a aussi attisé la rage des nouveaux précaires. On séquestre des patrons, puis des cadres dirigeants. On refuse d'obéir aux consignes du ministre de l'Education Nationale. On manifeste en grand nombre. L'exemple grec d'une jeunesse en révolte des mois durant fait peur dans les couloirs de l'Elysée.
Satisfaire les plus riches
Depuis 2007, les plus fortunés ont effectivement la vie belle. Le paquet fiscal n'était certes pas un cadeau de 15 milliards d'euros aux plus riches. Mais il contenait ce qu'il fallait pour satisfaire quelques grands patrons et exilés fiscaux potentiels ou actifs. L'abaissement du bouclier fiscal de 60% à 50% des revenus n'a pas ramené un évadé fiscal, mais il a permis de rembourser en 2008 quelques 307 millions d'euros à 834 foyers. Grâce à la loi TEPA, un riche imposable ISF peut défiscaliser 50 000 euros en investissant dans des PME "innovantes". Exit également les droits de successions. Notre système fiscal est-il si mal fait qu'il faille détricoter par des niches de toutes sortes ce que l'on veut corriger en amont, par le biais de l'impôt sur le revenu ? Nicolas Sarkozy est avant tout le bouclier des riches et des puissants. Pour eux, point de loi contre leurs abus ...
En Sarkofrance, on récompense aussi beaucoup. 16 légions d'honneur en 2 ans de présidence parmi les invités du Fouquet's le 6 mai au soir. Dans la France d'avant, on attendait la fin du règne pour recaser ses fidèles. Nicolas Sarkozy ne s'embarrasse pas. Il est impatient de récompenser. Le fait du prince est encore la meilleure stratégie de contrôle que la France ait connue. On s'attache des fidélités. Celle de Max Gallo en plaçant son épouse en 4ème position (donc éligible) sur la liste UMP aux élections européennes en Ile-de-France. François Pérol (Caisses d'Epargne et Banques Populaires), Thierry Marianni (Dexia), Stéphane Richard (France Télécom), sont autant de conseillers ou proches du pouvoir rapidement et discrètement placés à la tête des entreprises du pays.
Contrôler l'opinion
Nicolas Sarkozy a aussi facilement maitrisé les médias, par un interventionisme direct et efficace, un plan d'aide à la presse de 600 millions d'euros, et la nomination directe des patrons de l'audiovisuel public. En nommant un journaliste indépendant à la tête de Radio France, il croit s'exonérer des critiques, et rend le nouveau PDG otage de sa nomination princière. Patrick de Carolis, l'actuel PDG de France Télévisions, vit sous pression. L'aboyeur public Frédéric Lefebvre, ancien conseiller occulte de Sarkozy, s'est chargé d'expliquer combien il bossait mal. Son mandat expire l'an prochain.
Côté justice, Rachida Dati s'empresse de faire voter une loi sur la protection des sources des journalistes ... qui officialise les dérogations. Côté institutions, Sarkozy nous a gratifié d'un toilettage constitutionnel, et travaille sur un prochain redécoupage électoral. Fidèle à son habitude, Sarkozy donne quelques gages démocrates pour mieux museler un système déjà présidentiel. On s'amusait de la disparition du Premier ministre. La réforme constitutionnelle a conforté nos craintes: les débats parlementaires seront désormais circonscrits, et le Monarque, tel Louis-Napoléon Bonaparte, pourra s'exprimer devant les parlementaires et conserve son droit de vie ou de mort du Président sur les députés. Bref, depuis juin 2007, la démocratie parlementaire ne tient qu'à deux fils: l'ambition narcissique du rival Jean-François Copé à la tête des députés UMPistes et l'absentéisme du camp majoritaire. C'est bien mince, non ?
Filtrer la démocratie
Depuis 2 ans de présidence, Nicolas Sarkozy a fait semblant de s'occuper de sécurité. Il s'est surtout occupé de surveillance et de contrôle. Son bilan à la tête du ministère de l'intérieur pendant 4 ans était du reste médiocre. La délinquance la plus violente n'a cessé de progresser. En parvenant à l'Elysée grâce à certaines thèses frontistes qu'il avait fait sienne, il nous a gratifié de peines planchers, de l'abaissement à 14 ans de la majorité pénale, de la sécurisation des asiles, de l'enfermement à vie sur simple soupçon de dangerosité. Quand les tous premiers sondages révèlaient que les Français n'étaient plus dupes sur leur pouvoir d'achat, Sarkozy a sorti ses jokers : "la victime" et le bouc-émissaire. Belles diversions quand les nuages économiques s'amoncellent. Il y a quelques mois, voici un nouveau projet de loi, contre les "bandes" cette fois-ci. En juillet, Sarkozy a fusionné les services secrets intérieurs (DST et Renseignements Généraux) au sein de la DCRI, rattachée directement à la Présidence. En novembre, cette "nouvelle" police fond sur un groupe d'anarcho-libertaires. Seul le leader présumé reste en détention provisoire. L'accusation de complot terroriste, sans preuve, permet d'allonger la garde à vue, de maintenir la pression. Régulièrement, des proches de Julien Coupat sont ainsi
Ministre, Sarkozy a autorisé les fouilles, ou les contrôles d'identité au faciès. Président, il assume le délit d'outrage, installe son service secret central, et prépare sa loi de contrôle du Web 2.0. Puisqu'Internet semble nécessiter une nouvelle régulation, on attend toujours une définition des droits de l'Internaute...
Mercredi prochain, le Conseil des Ministres devrait adopter le prochain de loi "LOPPSI 2", loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. Ce dispositif, qui prend le relais de la première grande loi sur la sécurité intérieure de Nicolas Sarkozy en 2002, complète l'arsenal de surveillance, et de cyber-surveillance: obligation faite aux FAI de bloquer l'accès aux sites interdits par les autorités, mise en oeuvre d'outils de géolocalisation des internautes, généralisation du fichier Périclès, autorisation des logiciels mouchards et clandestins. On sait qu'EDVIGE répertorie à vie les délinquances de jeunesse, voici BIG BROTHER qui arrive à l'Assemblée. Bien sûr, le Web pullule de pédophiles, de pirates, de délinquants en puissance. Mais le Web est aussi, et surtout, le seul lieu où la résistance est forte, et la maîtrise des messages présidentiels inexistante.
Contrôler les médias ne suffit plus. Il leur faut une démocratie filtrée.
Ami Sarkozyste, où es-tu ?&alt;=rss