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Des fascismes aux fachos, l’Europe alibi ou l’Europe réponse ? 3/4 les impasses des fascismes

Publié le 23 mai 2009 par Soseki

LES IMPASSES DES FASCISMES

Refaisons le point : il est exact que le fascisme est logiquement pluriel puisqu’il est nationaliste. Il s’insère donc dans les spécificités des nationalismes. Il est porté par un double contexte : la guerre de 1914-1918 et la prise de pouvoir, et son exercice, des bolcheviks.
Ses acteurs proviennent essentiellement des classes moyennes et parfois populaires, et ils appartiennent surtout à une génération qui voulait établir dans la société les valeurs guerrières qu’elle avait connues dans les tranchées (vitalisme, camaraderie, unanimisme, etc.). Il transcende la « lutte des classes » par l’union, les « faisceaux », autour de la nation sacralisée. Il se ressource dans un passé glorieux pour se projeter dans un avenir dominé par la puissance d’une nation rénovée, réhabilitée, réunifiée.
Le fascisme imite son cousin révolutionnaire bolchevik (12) par la mobilisation permanente des masses, pour l’accès au pouvoir, et pour l’exercice du pouvoir. Il utilise bien des pratiques des communistes pour lutter contre ceux-ci…
Ce mouvement révolutionnaire est enfin une « dictature du développement », viscéralement moderniste, empruntant le chemin de la techno science pour forger une nation puissante.

Cette dictature du développement a pu se rencontrer ultérieurement avec le baasisme au Moyen-Orient. Laïc, nationaliste, moderniste, le baasisme a échoué sur les rives du panarabisme, de l’antisionisme, laissant souvent la place à l’un de ses pires ennemis : l’islamisme.
Cet échec ultérieur, l’on peut le lire dans les fascismes précédents.

En effet, la politique internationale d’un pays fasciste est forcément partisane, au sens où elle suit une idéologie qui met en exergue sa volonté de puissance. Cette volonté de puissance, cet empirisme, butte toujours sur « l’autre » qui est obligé soi de se soumettre, soit de réagir… Le bellicisme est inscrit dans les gènes du nationalisme. « Le fascisme est né de la guerre et est mort de la guerre ». (13). Les guerres coloniales de l’Italie fasciste ont illustrées la déviance de ce nationalisme impérialiste. La soumission de l’Ethiopie ou de la Libye s’est faite dans des combats d’une violence totale. La volonté de puissance, puis le sentiment de puissance, lèvent toutes les inhibitions et autorisent toutes les horreurs. Le nationalisme, systématiquement, c’est la guerre : « La guerre est une nécessité pour les nations qui sont ou tendent à devenir impérialistes, quand elles ne tendent pas vers la mort. C’est pourquoi l’inviolabilité de la vie humaine et le pacifisme sont à reléguer parmi les vieilles idoles dans le patrimoine idéaliste et sentimental de l’homme du passé » (14)… tout est dit !
La sacralisation de l’Etat est la source de mesures liberticides. « (…) si vous pensez que l’Etat est bon, si les idées dont il s’inspire sont vraies, plus il aura de pouvoir et plus vous serez satisfait. Mais aussi longtemps du moins que vous serez du même côté que ceux qui gouvernent l’Etat… » (15). Les comportements humains aussi dévient : « Ce que la raison d’Etat admet dans les relations entre différents pays s’applique, dans l’Etat collectiviste, aux relations entre individus. Le citoyen peut faire n’importe quoi si c’est nécessaire en vue d’une fin assignée par la communauté. Il n’y a pas d’acte que la conscience pourrait empêcher de faire si ses supérieurs le lui ordonnent » (16).
L’unicité est tout autant empirique que la déification de la nation. Cette volonté d’unanimisme oblige à emprunter la voie de l’uniformisation. Rien ne peut être différent. Or, qui dicte les critères du « pareil » ? L’uniformisation est dans l’impasse du « 1 », de l’unique. Aucune tête ne doit dépasser, or, il y aura toujours une tête qui dépasse, et l’uniformisation est donc une course sans fin vers l’extinction de l’homme. Les révolutionnaires français, avec des Saint-Just ou Robespierre par exemple, ont menacé la Révolution par cette quête de l’unanimisme, du pareil, de l’uniformisation : il y avait toujours un ennemi à trouver en l’homme. Les communistes russes furent en ce domaine des tyrans aboutis. « A chercher un pays sans tombeaux, on arrive dans un pays de cannibales » (Pierre Dac). Cet unanimisme est d’autant plus recherché lorsque la culture démocratique est faible ou absente. Il est regrettable que les fascistes n’aient pas, ou pas suffisamment, lu Vilfredo Pareto (17) dans la circulation des élites. La démocratie pluraliste n’est-elle pas le meilleur système pour cette circulation pacifique ? L’unicité politique aboutit invariablement à des guerres internes pour l’accès au pouvoir. Tous les régimes dictatoriaux aux temps longs les ont connues (Russie et Chine communistes). Enfin, un autre élément du danger de l’unicité est l’interdiction ou la limite de l’expression de l’autre. L’absence de critique, dont la presse, limite votre conscience des enjeux, vous fait méconnaître les sentiments du peuple et vous aveugle.
Le culte du chef est une autre voie qui finit mal. L’homme n’est pas un dieu, il est faillible, et le pouvoir sans limites se destine invariablement à la station « cimetière des illusions ». Le chef adoré confond toujours, à un moment donné, la politique et le soi-même, les caisses de l’Etat et les siennes, la volonté du peule et ses sauts d’humeurs. L’évolution de la politique italienne sous Mussolini a ainsi dévié, fort logiquement. Ce qui ne passionne pas le chef, ou Duce, ou ce qu’il ne comprend pas, est ce qui est délaissé ou mal géré par cet Etat tant vénéré.
Ainsi il en est des lois antisémites. Elles sont nées des errances de l’égo du Duce. Jusque 1938, Mussolini n’avait jamais professé un quelconque antisémitisme. L’Italie fasciste restait étrangère à cette maladie.
Bien plutôt…Margherita Sarfatti fut a maîtresse du dictateur pendant 20 ans ( !), et surtout sa muse journalistique, intellectuelle et politique… Elio Jona fut un des tout premiers à financer les faisceaux de combats. De nombreuses Italiens de confession ou d’origine juive furent parmi les créateurs du mouvement fasciste et participèrent à la « Marche sur Rome ». Mussolini entretint d’ailleurs de bons rapports avec Chaïm Weizmann, leader mondial du mouvement sioniste. Dans un livre d’entretiens (1932) avec Emil Ludwig, il déclarait même : « l’antisémitisme n’existe pas en Italie (…) les juifs italiens se sont toujours bien comportés comme citoyens, et comme soldats ils se sont bien battus ».
Comment en est-on passé aux lois antisémites ?
Parce que le Duce, isolé sur la scène internationale après ses menées africaines et son isolement international, malgré son hostilité au pangermanisme et à l’Anschluss, voulait l’alliance avec l’Allemagne nazie ! L’égo du dictateur l’a poussé dans une course-poursuite avec celui qu’il voyait peu avant comme un « moine bavard » : une course-poursuite de la puissance, de la domination. Et enfin, Mussolini cherchait à se rapprocher du monde arabe pour accroître son influence (18).
Bien sûr, il n’y eut pas de camp de concentration, et encore moins d’extermination, en Italie, pour les juifs. Mais ceux-ci furent progressivement écartés de l’Etat et de toutes les institutions (écoles, administration, armée, mariage « mixtes » interdits, etc.), expulsion des juifs non-italiens : la ségrégation sociale était en place. Si, bien-sûr, il était « moins pire » d’être juif en Italie qu’en France à l’époque, les lois raciales furent peu appliquées, l’horreur était préparée pour l’invasion des forces allemandes en Italie à partir de 1943 et leurs exactions. Il s’agit donc bien là d’un choix du Duce puisqu’au sein même du « Grand Conseil Fasciste », des hiérarques osèrent s’opposer à leur leader (comme Balbo et De Bono), et nombres de dirigeants et militants du parti fasciste furent exclus pour leur refus des lois racistes. Il est difficile de ne pas voir une contradiction entre le fascisme italien et le racialisme, comme il est difficile d’ignorer que cette déviance est logique, endogène à un courant politique qui a parmi ses fondations le nationalisme et le culte du chef…

Ainsi le totalitarisme (« parti unique, Etat-parti, Etat partisan »), le nationalisme et le culte du chef ont fait du fascisme italien une politique de l’impasse, faisant passer ses quelques réussites de « dictature du développement » à un souvenir sombre pour ceux qui en furent ses victimes, dont les Italiens eux-mêmes… et bien des fascistes, amis aussi un souvenir ambigüe… La 2è guerre mondiale est dans la logique du nationalisme, et ses horreurs consubstantielles.
C’est en pensant à ceux qui empruntent la voie sans issue d’un « revival » fasciste que j’ai écrit ce texte. Le mélange de nationalisme, xénophobie, racialisme, et fascisme du temps de la « dictature de développement » pour tenter de cacher le fond raciste, n’appartient pas à un passé glorieux, parce que celui-ci n’existe pas.

Je n’aborderai pas le cas allemand du « national-socialisme » dans sa « pratique historique ». Simplement, le fascisme, par le choix du nationalisme comme matrice, s’adapte à chaque pays et prend forme par ce qui fait la nation. En l’occurrence, la nation allemande se base sur la race germanique, non sur la gloire de l’Empire, façon mussolinienne, ou celui de la monarchie pour un Maurras ou encore l’Empire napoléonien pour certains bonapartiste. Car en effet, ce qui fait la nation chez ces derniers, c’est l’Etat. Ce qui ferait l’Allemand, c’est la « race ».
Le national-socialisme est-il un fascisme ? Si l’on reprend les principes originels de B. Mussolini, ce n’est pas le cas. Pourtant, il en reprend bien des aspects.
En fait, si l’on ajoute les communistes russes, on a la réponse. Fascisme italien, nazisme allemand et communisme russe ont pour similarité d’être des mouvements totalitaires, notamment si l’on reprend le principe aronien déjà cité (parti unique, Etat parti, Etat partisan). Ce qui les rassemble, c’est ce totalitarisme. D’ailleurs, nombre d’historiens expliquent le chemin de la fuite du Duce vers l’Est en 1944 dans le but de rejoindre l’Union Soviétique. Drieu écrira avant son suicide : « le communisme est plus conséquent et plus nécessaire (…) » (19). Il aimait à rappeler qu’il se définissait comme un « socialiste européen », ce socialisme en fait à la prussienne, spenglerien. Ce qui prouve aussi que le socialisme n’est en rien univoque.
Concernant le nationalisme, il ne s’agit pas seulement de la question de la notion de nation, de « l’ensoi et du pour soi », de l’identité culturelle, identité nationale et nationalisme, mais aussi de perspective de la nation. J’aime à relire ce texte de Joris Van Severen « La seule culture, pour continuer à employer ce terme qui n’a jamais été défini nettement et que je n’aime pas, la seule culture que nous reconnaissions comme nôtre, c’est cet ensemble admirable de vertus et d’habitudes spirituelles, morales et artistiques, que nous nommons la civilisation helléno-romano-franque et qui trouve son expression la plus parfaite dans l’humanisme chrétien. Sans doute, chaque peuple se l’est appropriée, se l’approprie et la recrée à travers les âges, suivant son génie propre ; mais sa véritable loi est exactement le contraire de celle qui consisterait à se cantonner en d’étroites limites, à se recroqueviller sur soi-même » (20).
Le nationalisme allemand avait pour moteur la race. J’ai abordé précédemment les auteurs, les initiateurs de ce courant de pensée prenant sa source dans le positivisme, le scientisme et le « darwinisme ». Et toute la construction du « fascisme allemand » repose sur le racialisme. Ainsi la maxime totalitaire d’Aron (« parti unique, Etat-parti, Etat partisan »), explique la déviance, la perversité du « fascisme allemand » (?) qui fit du racialisme le principe de son parti, de son Etat, et de sa politique extérieure…

Or, le racialisme est une erreur intellectuelle. La « race », vue comme un élément biologique du politique, est en contradiction même avec la race humaine. En s’isolant biologiquement de tout « mélange », toute ethnie se destine à une régression de ses descendants avec de plus en plus de procréation difficiles, voire, d’individus avec des tares. Il s’agit en fait d’une consanguinité latente. « L’un » biologique est suicidaire, voire stérile. L’amélioration de l’individu biologique est dans « l’autre », le mélange, l’ouverture.
Il en est ainsi des civilisations, qui en s’isolant disparaissent ou régressent jusqu’à la domination ou l’assimilation par d’autres. Lorsque l’Empire chinois fit le choix de s’isoler du monde, d’interdire à son peuple l’utilisation de la mer, il prit le chemin de la régression intellectuelle et technologique. Il est impossible de s’isoler du monde, toute tentative se destine à un réveil brutal et des plus pénibles. Le salut de l’Homme est dans la découverte de l’autre, c’est ainsi qu’il progresse.
Et si l’on reprend la pensée débile d’un Corradini cité précédemment, le nationalisme impérialiste, c’est-à-dire dans l’expansion et l’élimination de l’autre, a pour même résultat : l’un, seul, stérile…

(12) Ernst Nolte, « Les Fondements historiques du national-socialisme », éd. du Rocher
(13) Alain de Benoist, « Le Fascisme » (présentation), Nouvelle Ecole n°53-54
(14) Enrico Corradini, « Il nazionalismo italiano », Canadian librairies
(15) Raymond Aron, « 18 leçons sur la société industrielle », Folio
(16) Friedrich A. Hayek, « La route de la servitude », P.U.F.
(17) Vilfredo Pareto (que l’on retrouve souvent dans les écrits de R. Aron, notamment dans « Les étapes de la pensée sociologiques », Gallimard, ou « Etudes politiques », NRF), « Traité de sociologie générale », Librairie Droz
(18) Pierre Milza, « Mussolini », Fayard
(19) Pierre Drieu la Rochelle, « Journal, 1939-1945 », Collection Témoins / Gallimard
(20) Joris Van Severen, « Essai sur le nationalisme »


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