Elle se lève. Très haut dans le ciel une petite croix d'argent brille et fait en avançant un bruit de velours qu'on déchire. Il la regarde marcher le long de l'eau, tourner, revenir vers lui - ce corps menu, contractile ; dissimulant (derrière le poli, le doré de la peau, l'innocence des petites mains ouvertes) le désordre organique, le repoussant tumulte - bruissement de sang, précaires battements de coeur -, l'imperfection propre à tout ce qui vit ; fier semble-t-il, ou en tout cas satisfait, debout sur la table, près de l'eau, dans le soleil, de son angoissante et menteuse harmonie. Elle s'approche, une mèche de cheveux noirs sur l'épaule gauche, souriante, les sourcils légèrement haussés comme pour lui demander de cesser le jeu - et lui, la gorge lourde, regarde ce corps menu, candide, cette pitoyable beauté, vers laquelle le porte cette impulsion tout aussi pitoyable, ce désir de se cacher, de ne plus se voir, de se perdre, qu'on appelle l'amour, ou encore le désir, ou encore la haine - selon les preuves qu'on en donne - et même la Foi.
Jean-René Huguenin, La côte sauvage, Seuil, 1960