Les observateurs des Nations unies sur la torture ont reproché à Israël son refus d’autoriser l’inspection d’une prison secrète surnommée par les critiques, le « Guantanamo Bay d’Israël », et ils exigent qu’Israël leur dise si d’autres camps clandestins de détention sont en activité.
Dans un rapport publié vendredi, le Comité contre la Torture demande qu’Israël révèle l’emplacement du camp, officiellement appelé « Camp 1391 », et en permette l’accès au Comité international de la Croix-Rouge.
Des conclusions d’organisations israéliennes des droits de l’homme indiquent que la prison a servi dans le passé à détenir des prisonniers arabes et musulmans, notamment des Palestiniens, et que la torture et la maltraitance physique y étaient régulièrement pratiquées par les interrogateurs.
Une commission de 10 experts indépendants du Comité des Nations unies a également jugé crédibles les rapports de groupes israéliens concluant que les détenus palestiniens étaient systématiquement torturés en dépit de la décision de 1999 de la Cour suprême israélienne interdisant de telles pratiques.
L’existence du Camp 1391 a été révélée en 2002, quand des Palestiniens y furent internés pour la première fois lorsque Israël a lancé une nouvelle invasion de la Cisjordanie. Dans des conclusions à l’attention du Comité des Nations unies, Israël a nié que des prisonniers étaient actuellement détenus sur ce site, tout en reconnaissant que plusieurs Libanais y avaient été détenus lors de l’attaque du Liban en 2006.
Le Comité a exprimé sa préoccupation au sujet d’une décision de la Cour suprême de 2005, qui estime « raisonnable » de la part de l’Etat de ne pas faire d’enquête sur les soupçons de pratique de la torture dans la prison. La commission d’experts s’estime préoccupée à bon droit du fait que sans inspection, la prison est peut être encore utilisée ou peut l’être à tout moment.
« Le tribunal israélien, note le Comité, devrait s’assurer que toutes les allégations de torture et de maltraitance sur les prisonniers au Camp 1391 soient soumises à enquête (et) et que les conclusions de celle-ci soient rendues publiques. »
C’est Hamoked, une organisation israélienne des droits humains, qui, la première, a identifié la prison après que deux Palestiniens cousins aient été enlevés à Naplouse en 2002, sans que leurs familles n’aient pu retrouver leurs traces. Les officiels israéliens ont finalement reconnu que les deux avaient été détenus dans un lieu secret.
Israël refuse toujours d’identifier le lieu exact de la prison, qui se trouve en Israël à environ 100 kilomètres au nord de Jérusalem. Quelques bâtiments en sont visibles, mais la plus grande partie de la prison a été bâtie sous terre.
« Nous n’avons pu être au courant au sujet de cette prison que grâce à une erreur de l’armée quand elle y a mis des Palestiniens parce qu’elle manquait de place dans les principales prisons d’Israël. » dit Dalia Kerstein, directrice d’Hamoked.
« Le véritable objectif du camp est d’y interroger les prisonniers du monde arabe et musulman qui se trouvent ainsi difficiles à retrouver, de sorte que leurs familles ne peuvent contacter les organisations israéliennes pour leur venir en aide. »
Pour Mme Kerstein, cette prison est une violation du droit international plus lourde encore que dans le cas de Guantanamo Bay, car elle n’a jamais été inspectée et nul ne sait ce qui s’y passe.
Selon les témoignages des cousins palestiniens, Mohammed et Bashar Jadallah, ils ont été détenus dans des cellules d’isolement de 2 mètres carré, avec des murs noirs, sans fenêtre et une ampoule allumée 24 heures sur 24. A de rares occasions, ils ont pu sortir, escortés, mais ils devaient porter des lunettes fumées.
Quand on a demandé à Bashar Jadallah, 50 ans, où il était, il a répondu qu’il était « sur la lune ».
Dans son témoignage, Mohammed Jadallah, 23 ans, affirme qu’il a été frappé à maintes reprises, ses chaînes resserrées, qu’il a été attaché dans des positions douloureuses sur une chaise, qu’il ne pouvait ni aller aux toilettes ni dormir, il était aspergé d’eau s’il s’endormait. Les interrogateurs lui auraient aussi montré des photos de membres de sa famille et l’auraient menacé de leur faire du mal.
Si les Palestiniens passant par cette prison étaient interrogés par la police secrète intérieure, le Shin Bet, les ressortissants étrangers à la prison tombaient sous la responsabilité d’une branche spéciale des renseignements militaires connue sous le nom d’Unité 504, dont les méthodes d’interrogatoires sont convaincues d’être bien plus serrées.
Peu après que la prison ne fût connue, un ancien détenu - Mustafa Dirani, dirigeant du groupe chiite libanais Amal - a engagé une action en justice en Israël affirmant qu’il avait été violé par un gardien.
Mr Dirani, enlevé au Liban en 1994, a été enfermé au Camp 1391 pendant huit ans avec un dirigeant du Hezbollah, Sheikh Abdel Karim Obeid. Israël espérait leur tirer des informations sur la disparition d’un aviateur, Ron Arad, descendu au-dessus du Liban en 1986.
Mr Dirani a soutenu devant le tribunal qu’il avait été maltraité physiquement par un interrogateur militaire de haut grade, appelé « Major George », et notamment qu’il l’avait sodomisé avec un bâton.
L’affaire a été abandonnée début 2004 à la libération de Mr Dirani dans un échange de prisonnier.
D’après Mme Kerstein, rien ne prouve qu’il y ait d’autres prisons en Israël comme le Camp 1391, mais certains des témoignages recueillis d’anciens détenus laissent penser qu’ils ont été détenus en d’autres lieux secrets.
Ce qui la préoccupe, c’est qu’Israël pourrait être l’un des pays destinataires des vols de « restitutions extraordinaires », où des prisonniers capturés par les Etats-Unis étaient introduits clandestinement dans d’autres pays pour y être torturés.
« Si une démocratie autorise une prison de ce genre, qui dira qu’il n’y en a pas d’autres ? » demande-t-elle.
Le Comité a examiné d’autres soupçons de torture impliquant Israël. Il s’est dit particulièrement soucieux de l’absence d’enquête par Israël sur plus de 600 plaintes déposées par des détenus contre le Shin Bet depuis la dernière session de la commission, en 2001.
Il a également mis en avant les pressions exercées sur des habitants de Gaza qui avaient besoin de traitement médical pour les amener à devenir des informateurs.
Ishai Menuchin, directeur exécutif du Comité public contre la torture en Israël, a déclaré que son groupe avait envoyé plusieurs rapports au Comité montrant que la torture était systématiquement pratiquée contre les prisonniers.
« Après la décision de la Cour en 1999, les interrogateurs ont appris à devenir plus créatifs dans leurs techniques. » a-t-il dit.
Et d’ajouter que, depuis la redéfinition par Israël de la bande de Gaza en « entité ennemie », certains des Palestiniens enlevés étaient détenus en tant que « combattants illégaux » et non « détenus sécurité ».
« Dans ces conditions, ils peuvent être qualifiés pour l’incarcération dans les prisons secrètes tel que le Camp 1931. »
Nazareth, Israël, le 17 mai 2009 - Jonathan Cook ; il fut publié également sur : counterpunch - dessins : site du Comité israélien contre la torture - traduction : JPP
Cet article a d’abord été publié par The National à Abu Dhabi. / 21 mai 2009 / Info-palestine