"la Menace fantôme" en lignes de fuite - partie 03 & fin

Publié le 20 mai 2009 par Vance @Great_Wenceslas

C'est exactement à partir du moment où l’on commence à porter un point de vue extrême sur les différentes couches prêtes à être composées dans cet espace virtuel neutre et indéfini que la notion de perspective s’en trouve relativement ébranlée. En effet, il est important de noter que, selon les angles affichés, la pré-composition nous donne à voir un rendu en disharmonie totale et aux règles de perspective complètement fausses sous certains aspects. Si, effectivement, les couches d’images représentant le vaisseau, la cascade et les chutes d’eau conservent un affichage cohérent par rapport aux règles perspectivistes – de par leur nature originale de modèles intégralement 3D –, il en est tout autrement pour les autres couches d’images. Celles-ci – les couches représentant les architectures et les bâtiments de Theed, les couches d’eau plane – s’affichent de façon erronée dans leur inscription dans l’image, due à leur nature de portions d’images planes en deux dimensions. La perspective interne à ces portions est toujours correcte, mais leur alignement par rapport à un ensemble global, par rapport aux autres couches, brise la continuité des lignes de fuite sur tout le cadre et empêche l’enracinement de l’image pré-composée dans les codes essentiels de la perspective.

Pourtant, si l’on observe l’image finale, rendue après composition virtuelle des différentes couches, le résultat est saisissant : l’image semble tout à fait cohérente visuellement. Aucun artifice ne vient perturber la perception plastique que l’on peut avoir de l’image.

La menace entre illusion et compromis

S’il est maintenant acquis que chaque couche, prise isolément dans son statut d’unité discrète, obéit aux codes traditionnels de la perspective, il semble plus problématique d’affirmer ceci à propos de l’image multi-composée de toutes ses couches, prise dans son ensemble. En effet, en s’attardant sur des angles extrêmes de caméra virtuelle pour observer la gestion de l’espace virtuel neutre et indéfini de pré-composition des couches, il devient évident que, d’un point de vue global, la perspective de l’image est éclatée. Elle n’a même presque plus lieu d’être, étant donné qu’elle correspond à un collage hyper-malléable de plusieurs portions d’images. C’est d’ailleurs sur cet aspect que la composition numérique des couches d’images se distingue particulièrement de la composition optique. Etant donné que cette dernière ne permettait pas de manipuler les portions d’images (peintures sur verre, caches/contre-caches, maquettes, prises de vues sur fond uniforme et prises de vues « réelles) dans un environnement 3D, l’angle de vue de l’image devait être déterminé bien en avant, au stade de la pré-production (dès le scénario et le story-board), car aucune improvisation n’était envisageable pour ces plans à trucages et, de cette façon, le point de vue de caméra (physique ou simulée, par le processus de composition) restait « fixe » et « plat », tout autant que les couches demeuraient « planes ». On retrouve encore cette dominante dans les compositions numériques lorsqu’il y a manipulation de couches profilmiques numérisées issues de prises de vues « réelles » (en deux dimensions et, donc, « planes ») et de portions de matte paintings numériques (qui forment, réunies, une peinture en simili-3D mais qui, isolées, restent aussi « planes » que les peintures sur caches dont elles sont les extensions héritées). C’est grâce à la construction de l’image dans un espace virtuel neutre et indéfini que la composition numérique peut alors, contrairement à la composition optique, visualiser la position des différentes couches les unes par rapport aux autres sous n’importe quel angle de vue de caméra virtuelle, du plus basique au plus extrême, quitte à rendre complexe et obsolète l’agencement des couches ne relevant pas d’une structure modélisée en 3D.

Il apparaît donc que le rapport à la perspective dans une image numérique cinématographique est à la fois complexe et ambigu, tout autant fidèle au codes établis que déstructuré. C’est bien le point de vue de la caméra qui va déterminer la cohérence graphique, plastique et spatiale de l’image composée numériquement par rapport à l’héritage perspectiviste, respecté sur les éléments de couches isolées et éclaté par la situation des couches les unes aux autres dans l’image prise dans son ensemble, puis reconstruit et ré-établi par le choix d’un certain angle de (re)présentation du monde imaginé, dans le cadre et le champ de chaque plan. Ainsi, sur l’image finalisée de cette scène coupée de La Menace fantôme, l’illusion est parfaite : si l’on sait, dans la forme, que la perspective est impossible, par la situation extrême et hétérogène de toutes les couches, dans le fond, par contre, la simulation de perspective est efficace et crédible par le choix du point de vue de caméra virtuelle. On se rend compte que, en déplaçant légèrement l’angle de l’objectif, toutes les couches seraient déstructurées et la composition n’aurait plus aucun sens visuel. C’est en manipulant ces couches selon un certain processus et selon certains choix d’auteurs dans la composition du champ, puis en déterminant le point de vue (et le mouvement) de caméra idéal dans la composition du cadre, que l’impression de perspective – la continuité des lignes de fuite sur l’ensemble de l’image – peut être créée et préservée.



Cet article fut publié pour la première fois en septembre 2005 dans le cadre d'un mémoire universitaire. Il est présenté ici dans une version reconstruite, quelque peu modifiée (augmentée par certains aspects, réduite sur d'autres). Relatif au code la propriété intellectuelle, cet article et le texte original appartiennent exclusivement à son auteur et le texte original également aux Université de Nancy 2 et Paul Verlaine de Metz.

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