Bécasse, bécassine et bécasseau. - C’est le premier des
oiseaux noirs et la reine des marais. Pour son fumet
délicieux, la volatilité de ses principes et la finesse de sa
chair, elle est recherchée par les gourmets de toutes les
classes. Ce n’est, hélas! qu’un oiseau de passage. Mais on
en mange pendant plus de trois mois de l’année. Les
bécasses à la broche sont, après le faisan, le rôti le plus
distingué. On vénère tellement ce précieux oiseau, qu’on
lui rend les mêmes honneurs qu’au grand lama; des rôties
mouillées d’un bon jus de citron, reçoivent ses déjections
et sont mangées avec respect par les fervents amateurs.
Eléazar Blaze, grand chasseur et en même temps grand
cuisinier, donnait en ces termes son opinion sur la
bécasse:
«La bécasse est un excellent gibier lorsqu’elle est grasse;
elle est toujours meilleure pendant les gelées; on ne la vide
jamais. En pilant les bécasses dans un mortier, on fait une
purée délicieuse; si l’on met sur cette purée des ailes de
perdrix piquées, on obtient le plus haut résultat de la
science culinaire.
Autrefois, quand les dieux descendaient sur la terre, ils
ne se nourrissaient pas autrement. Il ne faut pas manger la
bécasse trop tôt, son arôme ne serait pas assez développé,
vous auriez une chair sans goût et sans saveur; apprêtée
en salmis, son parfum se marie très bien avec celui des
truffes. Mise en broche avec une cuirasse de lard; elle doit
être surveillée par l’oeil du chasseur; une bécasse trop
cuite ne vaut rien. Mais une bécasse cuite à point, placée
sur sa rôtie dorée et onctueuse, est un des morceaux les
plus délicats et les plus savoureux qu’un galant homme
puisse manger; et lorsqu’il a la précaution de l’arroser
d’excellent vin de Bourgogne, il peut se flatter d’être un
excellent logicien.
«Un président du tribunal d’Avignon, avait dîné chez le
préfet. En sa double qualité de gourmand distingué, de
chasseur intrépide, il officiait toujours en conscience.
Après avoir pris sa tasse de café pour faciliter la digestion,
il en était à son troisième petit verre pour faciliter le
passage du café, lorsque son amphitryon l’aborde et lui
demande s’il a bien dîné. . Mais... oui... . Cette réponse
semble accompagnée de restrictions. . J’ai assez bien
dîné. . Assez bien ne signifie pas bien. . Si, si, j’ai bien
dîné. . Je vous devine monsieur le président, vous
regrettez ces deux belles bécasses qui n’ont pas été
découpées. . Ma foi, j’en aurais bien mangé ma part. .
Attendez un instant on va vous les servir. . Après le
café?... après la liqueur?... c’est impossible. . Rien n’est
impossible aux estomacs comme le vôtre.
«Le préfet donna l’ordre, une petite table est dressée
dans le cabinet voisin, on sert les deux bécasses et le
bienheureux président les mange.»
On croit que les anciens n’ont pas connu la bécasse; elle
est de la grosseur de la perdrix, le bec est fort long, le
plumage agréablement varié, l’oeil fort large. La bécasse
est répandue dans tout l’ancien continent, on la trouve
aussi en Amérique. En été, elle va en Suisse, en Savoie,
sur les Pyrénées et les Alpes; on en prend le matin sur la
lisière des bois, son vol est soutenu, elle vole très vite, elle
est stupide et ne voit, dit-on, rien qu’au crépuscule. La
chair de cet oiseau aux pattes noires est excellente comme
celle des oiseaux sauvages, elle n’est cependant pas du
goût de tout le monde, elle ne convient ni aux mauvais
estomacs, ni aux bilieux, ni aux mélancoliques, mais à
ceux qui font de l’exercice. Elle est meilleure en automne.
On dit que dans la bécasse tout est bon; c’est le gibier dont
les chasseurs font le plus de cas, l’odeur et la saveur de cet
oiseau déplaisent aux chiens auxquels on a beaucoup de
peine à faire rapporter une bécasse.
Bécasse, bécasseau ou bécassine à la broche. - Prenez
quatre bécasses, flambez-les, épluchez-les et retirez la
peau de la tête, retroussez les pattes et percez-les avec leur
propre bec. Piquez les maigres, bardez les grasses,
traversez-les d’un hâtelet fixé des deux bouts. Disposez
sous la broche des rôties de pain, qui recevront la graisse
et devront être assaisonnées avec mignonnette, huile verte
et citron. La cuisson des bécasses sera d’une demi-heure.
Les bécasses seront dressées sur les rôties.
Autre manière de les servir à la broche. Videz-les
entièrement par le dos et remplissez-les à moitié de lard
râpé, avec persil, échalotes, ciboule, gros poivre et sel;
farcissez ainsi vos bécasses, recousez-les, le reste comme
ci-dessus. Si c’est pour les Anglais, servez-les avec une
sauce au pain.
Salmis de bécasses. - Embrochez trois bécasses, levezen
les membres, procédez pour ce salmis comme pour
celui de perdreaux, c’est-à-dire finissez-le un quart d’heure
avant de servir, mettez les membres de votre gibier à part,
ajoutez à votre sauce une cuillerée à dégraisser de gelée
d’aspic, posez-le à plat sur la glace ou sur l’eau sortant du
puits, remuez bien cette sauce jusqu’à ce qu’elle prenne;
une fois à son degré trempez-y les membres des bécasses,
les uns après les autres, dressez-les sur votre plat de
service, couvrez-les du reste de la sauce, garnissez votre
entrée de croûtons passés dans du beurre, décorez-la tout
autour avec de la gelée taillée à facettes.
Salmis de bécasse à la royale. - Préparez trois
bécasses, lardez-les, faites-les cuire à la broche, laissez-les
refroidir, levez-en les membres, ôtez-en la peau, parez-les,
rangez-les dans une casserole avec un peu de consommé,
posez-les sur une cendre chaude et faites en sorte qu’elle
ne bouillent pas. Coupez six échalotes, un peu de zeste de
citron, mettez-les dans une autre casserole avec du vin de
champagne, faites bouillir, concassez vos carcasses de
bécasses, mettez -les dans votre casserole, ajoutez-y
quatre cuillerées de consommé réduit ou de glace de
viande, faites réduire le tout à moitié, passez cette sauce
à l’étamine, mettez entre ses membres des croûtons de
pain passés dans du beurre, ajoutez à la sauce un jus de
citron.» (Méthode de M. de Courchamps.)
Salmis de bécasses de table à l’esprit de vin. - Faites
rôtir vos bécasses, dépecez-les; mettez-les dans un plat sur
un réchaud. Salez, poivrez, ajoutez un peu d’échalote, un
verre de vin blanc, du citron, du beurre, panez avec de la
chapelure et laissez mijoter dix minutes.
Salmis de bécasses au chasseur. - Vos bécasses sorties
de la broche, vous les dépecez, vous les mettez à la
casserole avec l’intérieur et le foie haché, de la ciboule,
des échalotes, du vin blanc, du sel, du poivre fin; vous
faites bouillir deux ou trois fois et vous servez sur des
croûtons.
A M. Alexandre Dumas, à Paris.
«Cher maître, A propos de votre grand ouvrage sur l’Art
culinaire, vous me demandez si je pourrais vous enseigner
quelques recettes originales de la cuisine de mon pays?
Que pourrais-je vous apprendre, à vous le grand savant
qui possédez depuis bien longtemps le peu de science que
ma jeunesse m’a permis d’acquérir?... Rien! Ce que mon
inexpérience remarque n’attire seulement pas votre
attention.
«Cependant, voici un plat fort apprécié chez moi et que
je n’ai vu figurer sur aucune carte de restaurant, ce qui ne
veut pas dire qu’il ne soit pas dans un recueil complet de
cuisine bourgeoise. Enfin, je vous le fais connaître à tout
hasard, dans l’espoir de pouvoir vous être agréable.
«Bécasses brûlées au rhum à la bacquaise :- Les
bécasses, après avoir été dressées comme il convient,
embrochées sous les ailes afin de ne pas léser les intestins,
sont placées devant un feu assez vif. La viande de ces
oiseaux, de même que celle des palombes, a besoin d’être
saisie si l’on veut qu’elle conserve son fumet.
«Dans la lèchefrite qui doit recevoir le jus, vous placez
une rôtie de pain fortement frottée d’ail; cette rôtie,
manière d’éponge, boit les déjections et le jus de l’animal.
Les bécasses cuites à point, la chair doit être légèrement
rouge, on les livre au dépeceur qui, après avoir enlevé
délicatement les quatre membres, retire avec une petite
cuiller tout l’intérieur; il cherche soigneusement le fiel afin
de l’ôter, et, ayant écrasé avec le dos d’une fourchette les
intestins dans un plat creux, il les étend sur la rôtie poivre,
sale, et vide sur le tout un bon verre de vieux rhum.
Aussitôt la liqueur enflammée, pendant que l’opérateur,
ordinairement le plus vieux chasseur, agite d’une main le
rhum avec la cuiller afin d’augmenter la violence de la
flamme, de l’autre main, armée de la fourchette, il prend
et promène chaque morceau de gibier sur la flamme
bleuâtre.
«Le sacrifice accompli..., la rôtie divisée, placée sous
chaque quartier, est aussitôt passée aux gourmets qui se
disputent les dernières gouttes de cette sauce merveilleuse.
L’accessoire dans ce plat vaut mieux que le principal.
C’est d’ailleurs un mets on ne peut plus délicat et
savoureux.
B. S.
Bécasses aux truffes. - Prenez des bécasses, flambezles,
videz-les par le dos, ôtez -en les intestins. Vous aurez
eu le soin d’éplucher d’avance des truffes selon la quantité
de bécasses que vous aurez. Ayez soin de faire cuire ces
truffes dans du lard râpé avec sel, poivre, fines épices,
ciboule et persil hachés; laissez bien refroidir aux trois
quarts, hachez les intestins, mêlez-les avec vos truffes,
remplissez de ce hachis le corps de vos bécasses cousezleur
le dos, retroussez-les, bardez-les, mettez-les à la
broche ou dans une casserole et faites cuire feu dessus et
dessous.
Bécasses à la minute. - Vous les flambez et parez, vous
les mettez dans une casserole avec un gros morceau de
beurre sur un feu ardent, des échalotes hachées, de la
muscade râpée, du sel et du gros poivre, puis, quand vous
les aurez fait sauter pendant huit ou dix minutes, vous y
mettrez le jus d’un citron, un demi-verre de vin blanc, un
peu de chapelure de pain. Vous les laissez cuire jusqu’à ce
qu’elles aient jeté un ou deux bouillons et vous servez.
Bécasses à la Périgueux. - Bridez trois bécasses pour
entrée, mettez-les dans une casserole, couvrez-les d’une
barde de lard, puis mouillez-les avec deux décilitres de
vin de Madère et quatre décilitres de Mirepoix; faites
cuire les bécasses, égouttez-les et débridez-les. Dressez-les
en triangle sur le plat et saucez- les avec une sauce de
Périgueux à l’essence de bécasse. (Recette de Jules
Gouffé.)
Hachis de bécasses en croustades. - Faites cuire trois
bécasses à la broche; lorsqu’elles sont froides, levez-en les
chairs, hachez le plus fin possible après avoir supprimé les
peaux, ôtez le gésier du corps de vos bécasses, pilez-en les
débris ainsi que les intestins, versez dans une casserole un
bon verre de vin de Champagne avec trois ou quatre
échalotes coupées. Lorsque ce vin aura jeté un bouillon ou
deux, mêlez-y quatre cuillerées à dégraisser pleines
d’espagnole réduite; faites bouillir, retirez vos carcasses
du mortier, mettez-les dans votre sauce et délayez-les sans
les faire bouillir; passez-les à l’étamine à force de bras,
ramassez le tout. Mettez dans une casserole votre purée,
tenez-la chaudement au bain-marie. Faites d’égale
grosseur et longueur sept ou neuf croûtons en coeur ou en
rond, le tout de l’épaisseur de trois travers de doigts;
faites-les frire dans du beurre, qu’ils soient d’une couleur
agréable, vous leur aurez fait du côté où vous voudrez les
servir une petite incision convenable à leur forme; videzles
comme vous feriez d’un pâté chaud, mettez votre
hachis dans votre sauce, incorporez bien le tout ensemble
ajoutez-y un pain de beurre, goûtez si ce hachis est d’un
bon goût, remplissez-en vos croustades, dressez les,
mettez sur chacune un oeuf frais poché et servez.
Sauté de filets de bécasses. - Prenez quatre, six ou huit
bécasses, selon le nombre de vos convives, levez leurs
filets, mettez-les sur un sautoir avec du beurre à demi
fondu, du sel, du gros poivre et du romarin en poudre. Au
moment de servir, faites passer sur un feu ardent;
égouttez, dressez en couronne, séparez par un croûton
chaque morceau. Mettez un verre de vin blanc pour huit
bécasses, une feuille de laurier, un clou de girofle; laissez
réduire.
Cela fait, ajoutez un demi-verre de vin blanc, une tasse
de bouillon, tamisez et versez sur vos filets.
Terrine de bécasses à l’ancienne mode. - Piquez de
gros lard, sans les vider, mais après avoir ôté le gésier,
quatre bécasses; garnissez le fond d’une braisière de
bardes de lard et de tranches de boeuf battues, ajoutez-y
sel, poivre, bouquet garni, oignons coupés par tranches,
carottes, panais, ciboules entières et persil haché, un peu
de basilic et d’épices; couchez-y les bécasses lestement
dessous; assaisonnez sur le dos comme vous avez fait sur
l’estomac; ajoutez des tranches de boeuf ou de veau et des
bardes de lard. Couvrez la braisière de charbon et faites
cuire feu dessus et dessous. Mettez dans une casserole un
peu de jambon et de lard coupé en dé. Laissez roussir un
peu, ajoutez persil, ciboules, champignons hachés; passez
le tout ensemble, mouillez avec du jus, ou à défaut avec
du bon bouillon, et, lorsque tout est cuit, liez la sauce en
y ajoutant un peu de coulis de veau et de jambon, ou du
beurre d’anchois manié de farine et une demi-cuillerée de
câpres. Quand les bécasses sont cuites, retirez-les de la
braisière, égouttez-les, dressez-les dans la terrine et versez
par-dessus la sauce ci-dessus; c’est ce qu’on nomme sauce
hachée. C’est, à un détail près, la méthode de l’auteur des
Mémoires de la marquise de Créquy.
Salmis de bécassines des Bernardins. - «On prend
quatre bécassines (on se réglera quant aux doses sur le
nombre et la grosseur des pièces) rôties à la broche mais
peu cuites; on les divise selon les règles de l’art, ensuite on
coupe en deux les ailes, les cuisses, l’estomac et le
croupion; on range à mesure ces morceaux sur une
assiette.
«Dans le plat sur lequel on a fait la dissection, et qui
doit être d’argent, on écrase les foies et les déjections des
oiseaux et l’on exprime le jus de quatre citrons bien en
chair et les zestes coupés très minces d’un seul. On dresse
ensuite sur ce plat les membres découpés qu’on avait mis
à part; on les assaisonne avec quelques pincées de sel
blanc et de poudre d ’épices fines (à défaut de cette poudre
on mettra du poivre fin et de la muscade), deux cuillerées
de l’excellente moutarde de Maille et Aclocque ou de
Bordin et un demi-verre de très bon vin blanc. On met
ensuite le plat sur un réchaud à l’esprit-de-vin et l’on
remue pour que chaque morceau se pénètre de
l’assaisonnement et qu’aucun ne s’attache.
«On a grand soin d’empêcher le ragoût de bouillir; mais,
lorsqu’il approche de ce degré de chaleur, on l’arrose de
quelques filets d’excellente huile vierge. On diminue le
feu et l’on continue de remuer pendant quelques instants.
Ensuite on descend le plat et l’on sert de suite et à la
ronde, sans cérémonie, ce salmis devant être mangé très
chaud.
«Il est essentiel de se servir de sa fourchette en cette
occasion, dans la crainte de se dévorer les doigts, s’ils
avaient touché à la sauce. (Almanach des gourmands,
année 1806.)