J’avais parlé, à propos de ce retentissant tapage à la gare Saint-Charles, du 27 février dernier. En fait, ce forfait avait été commis en février 2008. On peut en conclure que notre justice est à même de prendre le temps de la réflexion pour traiter des cas les plus graves.
Notre professeur de philosophie était accusé d’avoir porté atteinte à la tranquillité publique, « par la durée et la répartition de ses cris ». Réglons d’abord son compte à cette mystérieuse répartition. L’alternative est la suivante : l’apparition de ce mot est le fruit, d’une erreur de transcription ou bien, d’un léger déficit intellectuel du rédacteur du constat. Dans l’impossibilité de trancher, je me bornerai à substituer à cette évocation d’un partage le terme de répétition. Et c’est ce mot qui est précieux pour fonder le délit. A tel point qu’aujourd’hui, devant le tribunal de police de Marseille, l’officier du ministère public, Mme Girard, n’a pas craint de révéler qu’avant l’audience, elle s’était chronométrée en répétant la phrase coupable : « Sarkozy, je te vois ». Cette expérience lui avait permis d’établir que, l’infraction ayant duré cinq minutes, le perturbateur avait peut-être clamé ces mots odieux soixante fois.
L’article R1334-31 du Code de la santé publique stipule que : « Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme, dans un lieu public ou privé ». Si la circonstance de répétition a été merveilleusement démontrée ( ?) par l’OMP, on voit par contre mal comment on pourrait qualifier une gare d’un voisinage où règne la tranquillité. On y entend le bruit des motrices, le choc des voitures qu’on accroche, le tintement des roues qu’on sonde, les appels précédés de jingles sonores destinés aux voyageurs. C’est plutôt la gare qui est susceptible de porter atteinte à la santé de l’homme.
Le rappel de l’article R623-2 du Code pénal est tout aussi savoureux : « Les bruits ou tapages injurieux ou nocturnes troublant la tranquillité d'autrui sont punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 3e classe ». La perturbation doit donc être injurieuse ou nocturne. Comme elle s’est produite de jour, la condition nocturne n’est pas satisfaite. Dans un sursaut d’honnêteté qu’on peut saluer, le rédacteur du procès-verbal a cru nécessaire d’apporter la précision de diurne, totalement inutile. Mais, faute de nocturne, il fallait donc que l’exclamation soit injurieuse. A-t-on eu la curiosité de demander à ces estimables policiers en quoi les mots « Sarkozy, je te vois » constituaient une injure ? Quant à l’OMP, elle a indiqué que ce n’est pas le nom de notre Président qui donne à l’infraction un caractère injurieux, mais la seule « manifestation bruyante », avec le souci de « se montrer désagréable », même « sans user de terme offensant » ! Une injure peut donc être dépourvue de terme offensant. Voilà qui est proprement inédit !
Me Voland, l’avocat du prévenu, a demandé la désignation d’un expert pour faire des mesures de décibels en gare Saint-Charles. En effet, notre Code de santé publique, qui se révèle ainsi solidement établi, stipule, en son article R1334-33 : « L'émergence globale dans un lieu donné est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau du bruit résiduel constitué par l'ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l'occupation normale des locaux et au fonctionnement habituel des équipements, en l'absence du bruit particulier en cause. » et précise différentes valeurs limites admissibles selon la durée du bruit.
Une amende de cent euros a été demandée et le verdict mis en délibéré au 3 juillet. J’ai toute confiance en la sagesse et l’indépendance de notre justice. Condamner ce professeur à cent euros d’amende pour avoir prononcé le nom de notre Président pourrait être interprété par de mauvais esprits comme signifiant : « Sarkozy ne vaut pas cher ». Le Ciel, et le juge, nous préservent d’une telle abomination !