Le syndrome de l’oisillon

Publié le 19 mai 2009 par Timothée Poisot

Comme vous le savez sans doute, je consacre une petite partie de mon temps à faire de l’enseignement. C’est une activité assez gratifiante, enrichissante, qui oblige à reprendre les notions de base, et à faire un effort de vulgarisation. Ca apporte aussi un contact humain différent.

Mais ça fait déprimer.

Ces dernières semaines, vu qu’on doit rattraper un semestre complet en trois semaines si possible, j’ai été pas mal au contact d’étudiants. Et j’en suis à peine remis, surtout en ce qui concerne le travail au labo. J’en suis venu à la conclusion que nos étudiants souffrent du syndrome de l’oisillon (j’ai longtemps cherché le nom…).

C’est quoi?

Tout simplement le fait que, de manière générale, on se retrouve face à un groupe qui, au moindre problème, se met à ouvrir le bec et attend que la réponse tombe. La phrase qui me met le plus hors de moi, et qui je l’avoue attire à celui ou celle qui a le malheur de l’exprimer une réponse pas forcément bienveillante est mais on l’a pas vu en cours (pour info, la réponse tourne autour du fait que ça ne les dispense pas de réfléchir).

J’ai du, cet après midi, demander à des étudiants de fin de L1 de me dire quelle quantité de solution ils devaient mettre dans le premier tube pour faire une dilution sériée, ce premier tube devant avoir une concentration de 10-1. Le calcul est de niveau collège, et si on veut leur donner le bénéfice du doute, on voit formellement la chose en première. Qui est surpris quand je dis que personne n’a pu me donner la bonne réponse (un dixième du volume final)?

Je suis confronté à des étudiants qui n’arrivent pas à concevoir qu’on puisse résoudre un problème qui n’est pas exactement présent dans les cours. Qui n’ont pas l’esprit d’initiative, et qui manquent de bon sens. Quand je demande d’utiliser une pipette Pasteur pour un prélèvement, j’imaginais qu’après un an passé à faire des travaux pratiques, ils se lèveraient pour aller chercher des poires. Qui est surpris quand je dis qu’aucun ne l’a fait?

Pourquoi on en est la?

C’est de notre faute, nous enseignants. Pour deux raisons.

D’une part parce qu’on gave copieusement nos oisillons de connaissances théoriques, et qu’on insiste sur le fait que c’est important. On leur fait résoudre des problèmes type, et puis, on m’a raconté ça ce soir, on finit par avoir des étudiants de master qui se plantent parce qu’ils confondent rejet et acceptation d’une hypothèse nulle.

Mais surtout, quand on laisse nos oisillons partir eux même en quête de nourriture, on leur donne une fausse impression d’autonomie, et on leur renvoie une fausse image de leur succès.

D’une part au labo. Des étudiants m’avouaient l’autre jour que pendant un an, ils n’avaient pas eu besoin de se poser les questions qui fâchent puisque les personnes qui les encadraient leur explicitaient les moindres passages obscurs (exemple typique : la dilution en série). S’ils arrivent sans blouse, on leur en trouve une rapidement.

Ca m’a valu une bonne réputation d’infâme raclure dans la promo de L1, mais si un passage du protocole n’est pas explicité et qu’il est tout à fait possible de déduire, avec un peu de bon sens, ce qu’il faut faire, je me refuse de l’expliquer. Tout consiste à savoir qui va céder en premier. Les derniers qui ont voulu essayer ont fini leur TP à 20 heures.

Et ceux qui viennent sans blouse restent sans blouse, et tant pis s’ils se tâchent (et souvent, ils se tâchent, et pensent à la blouse à la séance suivante). En gros, je n’ai aucune envie de jouer à la maman. Leurs directeurs de stage n’auront pas plus envie de le faire, d’ailleurs, et j’ai le sentiment que quand on forme des étudiants de Licence, on forme les futurs étudiants qui viendront un jour bosser dans nos équipes.

Je trouve profondément hypocrite de se plaindre du manque de maturité des étudiants, alors qu’on fait en sorte que leur vie soit un petit nid de coton douillet. Je suis contre les imbéciles qui proposent d’élever les étudiants à la dure, mais je suis surtout ceux qui confondent maternage et enseignement. Et surtout, j’estime que si je fais des efforts pour leur faire des corrigés de TD/TP, que si j’ai tenté de prévoir les questions qui peuvent venir, et que je fais en sorte d’être disponibles pour eux, mes étudiants ont plutôt intérêt à se comporter autrement que comme des lycéens.

D’autre part, on leur renvoie une fausse image de leurs compétences au moment de les noter. Et c’est nettement plus grave. Certains enseignants demandent explicitement que la notation soit cool. Je trouve ça dérisoire. Quand on soumet un papier, l’éditeur l’envoie rarement aux référés en leur demandant d’y aller molo. Vu que ça ne concerne que peu de monde, ce n’est pas nécessairement le meilleur argument.

Ce qui me choque le plus, c’est qu’en notant cool, on fait deux choses très malsaines.

Premièrement, on conduit les étudiants à penser que quelle que soit la qualité globale de leur travail, ils auront une note convenable; ou même très bonne. Du coup, quel est l’intérêt de travailler plus, ou mieux, si on est noté pareil? On a une forte culture de la note, et je connaissais des personnes qui, toujours en master, ne travaillaient que pour avoir une bonne note; si la bonne note vient tout seul, pourquoi travailler? En étant permissifs dans la notation, on se tire une balle dans le pied.

Ensuite, on ne fait pas de différence entre les étudiants. Si tout le monde est bien noté, qui peut faire la différence entre les bons et les mauvais? Ca plombe les deux catégories d’étudiants. Les bons, parce que leur travail n’est pas valorisé, et qu’ils n’ont pas d’indicateur pour se dire que ce qu’ils font est très respectable. Les mauvais, parce qu’on ne leur envoie pas de signal qui dit qu’il est temps de se mettre au travail. J’ai longtemps fait partie de cette catégorie (en gros jusqu’au deuxième semestre de ma L3), et si j’avais été noté cool, je ne me serais jamais sérieusement mis au travail. Et je n’en serai pas la. Et puis, le jour ou la vraie sélection arrive, les étudiants se révoltent parce que tout d’un coup, on leur annonce que l’échec est possible, qu’il y a des différences entre eux, et de leur verre de coton (comme dirait ma meilleure moitié), ils se retrouvent catapultés dans la vraie vie. Et ils ont raison de se révolter, parce que quelque part, en jouant ce jeu, on les a bien pris pour des imbéciles.