Où s’arrête le préjugé ?
Le Front National a pollué le débat sur ce thème à partir des années 1980: comme s’il suffisait de jeter l’anathème sur ce parti pour pouvoir se prétendre non raciste. Le niveau de racisme n’est pourtant pas indexé sur les résultats du FN aux élections, il prend souvent des facettes plus subtiles.
Le film Agathe Cléry d’Etienne Chatiliez, sorti cet hiver sur les écrans, n’a pas été, selon la critique, l’occasion de dresser un portrait crédible de la France raciste d’aujourd’hui : en effet, une cadre supérieure parisienne fondamentalement raciste ne correspond pas aux canons du traditionnel raciste. Mais ce film a eu pour mérite de montrer que les bobos bien-pensants ne sont pas exemptés de se remettre en questions et qu’il ne faut pas forcément aller chercher le raciste parmi l’ouvrier peu diplômé.
Au contraire, il semble que le racisme se terre souvent au fond de beaucoup d’individus, ne serait-ce qu’au travers de préjugés, dont ils ne parviennent pas toujours à se défaire. Mais comment distinguer un préjugé d’une vérité ? Selon un sondage CSA de mars 2009,
- un Français sur deux pense que les étrangers savent mieux profiter du système de protection sociale que les autres ;
- 38% estime que les Juifs ont plus d’influence que les autres dans la finance ou les médias ;
- 24% pense que les Noirs sont plus forts physiquement que les autres.
Mais toutes ces idées reçues, constituent-t-elles forcément des pensées racistes ? Quand on voit la proportion de Juifs dans les salles de marché, est-on raciste de penser qu’ils sont particulièrement implantés dans la finance ? Les Juifs ont été pendant longtemps les seuls à pouvoir exercer des professions d’usuriers - l’Eglise en interdisant la pratique aux catholiques -, leur présence dans ce secteur pourrait éventuellement s’expliquer par des raisons historiques et non forcément par antisémitisme.
Le sentiment d’une hausse des discriminations en raison de sa couleur de peau
Le racisme est à la confluence d’un grand nombre d’enjeux tels l’immigration, l’identité nationale, la place des religions, l’exclusion. Elle est également la mère des discriminations. Or, 59% des personnes appartenant à des minorités visibles a le sentiment d’avoir vécu une situation de discrimination en raison de la couleur de sa peau. Ces discriminations se sont principalement manifestées par un manque de respect (25%), des insultes (25%), des contrôles par les forces d’identité ou de police (22%) ou dans le cadre d’une recherche d’emploi (22%). Au sein de ces minorités, les hommes, les jeunes et les salariés du privé sont les plus nombreux à éprouver ce sentiment.
Historiquement, chaque vague d’immigration en France s’est heurtée à des fièvres xénophobes, alimentées par la peur de la différence, et par le repli des communautés immigrées sur elles-même dû notamment au barrage linguistique. Néanmoins, avec le temps, ces populations se sont fondues dans le creuset national jusqu’à rendre leur « différence » quasiment imperceptible, mettant fin aux discriminations dont elles étaient victimes. Cette donnée pourrait laisser augurer l’espoir que les discriminations actuelles, nourries par le racisme ou la xénophobie, s’atténueront naturellement avec le temps. Or, les données du sondage semblent plutôt contredire cette thèse : en effet, une personne issue des minorités visibles sur trois partage le sentiment que les discriminations dont elles sont victimes s’aggravent (contre seulement 17 % qui pense que ces discriminations diminuent).
Un point néanmoins positif : la France ne semble pour l’instant pas touchée par les relents xénophobes et racistes qui touchent les sociétés en période de crises économiques.