La médiathèque, que je fréquente plus qu’aucun autre lieu de culte, est aussi l’endroit où je donne le plus libre cours à l’une de mes perversion : la consommation boulimique des marchandises culturelles ; j’y additionne les emprunts jusqu’au limites permises.
Mais même en y consacrant le plus de temps possible, il est difficile de respecter les délais, ces trois semaines au delà desquelles l’amende tombe.
Alors, bien sûr il est possible de prolonger mais arrive tout de même un moment où il faut rendre.
Autant l’accumulation des livres fait qu’il est impossible, ou quasi, de lire la totalité des emprunts – je me suis fait une raison depuis le temps et puis ce que je tente n’est pas toujours très heureux.
Les films par contre, deux en tout et pour tout, ça devrait pouvoir se caser sans difficulté dans l’emploi du temps.
Pourtant, il n’est pas rare qu’ils ne soient toujours pas vus la veille d’une date impossible à repousser.
Je peste et m’engueule alors. Bougonne des résolutions sans convictions et m’apprête à bouffer du film toute la soirée.
Exemple jeudi soir dernier :
En préambule : liquidation la plus rapide possible des les travaux du soir (bain, repas, déblayage post apocalypse).
Ensuite écarter les alternatives tentantes :
- le tennis qui se poursuit du côté de Madrid, mais, une opportune défaite piteuse de Simon, me coupe l’envie. Il faudrait d’ailleurs se demander depuis quand nos quatre mousquetaires ont réussi à gagner deux matchs d’affilée.
- et surtout ce Rebatet qui me fait de l’œil, merveilleux gros roman que je goûte à longs traits, les yeux écarquillés, comme au spectacle.
Vingt et une heure : la couette qui me recouvre et sur laquelle reposent toutes les télécommandes nécessaires, j’entame mon drive-in en chambre.
Malgré d’évidentes distances, temporelle et géographique, et sans que je l’aie voulu, les deux films choisis dans les rayons de Beaugrenelle se tiennent ensemble par une claustrophilie très prononcée.
Claustrophilie perceptible dès les premières secondes de Millenium Mambo du Taïwanais Hou Hsiao-hsien : lent travelling, caméra à l’épaule, suivant une jeune fille cigarette à la main qui marche dans un long tuyau de béton, verre et néons tandis qu’une voix off nous décrit par le menu les complication sentimentales de la demoiselle, nous dévoilant à cette occasion l’essentiel de l’intrigue.
Salué comme un chef d’œuvre à sa sortie - merveille de "trip expérimental" ai-je lu - en fin de compte 100 minutes pas déplaisantes, aux portes de l’envoutement même parfois mais trop marquées pas ces tics d’autant plus décelables huit ans après sa sortie, que depuis le cinéma asiatique s’est confortablement installé, dans nos festivals, salles et vidéo-clubs occidentaux, imposant son sentimentalisme poétisé ou ses coups de forces stylisés, ses attrapes d’éphèbe ou ses effets de satrape.
Ici, c’est la première manière qui est majoritaire, dans un film tout occupé aux tourments d’un cœur qui se débat mollement et se traine dans les espaces confinés de boites de nuit surchargées en monde et en décibels – ça doit causer au jeune noctambule urbain.
On vous esthétise le tout en régulières suspensions du rythme, savantes répétitions et déconstructions. On aère un peu de temps en temps en faisant rentrer le grand froid d’une escapade à Hokkaido. Un ou deux flingues pour faire bonne mesure. Et, emballé c’est pesé : bien foutu, charmant mais un peu factice. La qualité chinoise en somme ?
En voilà un qui n’a plus depuis un bail la faveur de la critique. Un demi-siècle plus tôt, il fut même
L’une des têtes de turc des jeunes du même nom mais, que le grand Turc me troque, j’ai plutôt aimé.
Il y a dans ce film comme dans les quelques Duvivier que j’ai pu voir, beaucoup de qualités.
Une caméra qui, rare pour l’époque, se meut volontiers et fort élégamment qui plus est, en mouvements serpentins où l’on sent toute l’animosité vis-à-vis des personnages dont elle s’approche.
Oui, parce que la noirceur de Duvivier, ce n’est pas une réputation volée. Foutre non !
Et cette adaptation d’un conte scandinave, déjà porté à l’écran deux fois, forme un beau canevas pour les poses pessimistes de Duvivier : le déterminisme social, l’incapacité à changer sa condition, son corps même comme la plus hermétique des cellules – le charretier fantôme appelle les âmes des défunts d’un « Prisonnier, sors de ta prison ».
Ok, il faut se farcir un Fresnay en plein exercice de composition.
D’accord le film porte les obsessions de l’auteur de manière un poil trop démonstrative.
Mais avec quelle gueule aussi !
Ces plans saturés de grilles, de planches, de fenêtres quadrillées, de barreaux de chaises, rampes d’escaliers, roues…
Lignes qui se croisent, enserrent, toile d’enfermement que ne vient éclairer à quelques reprises qu’un visage illuminé de Piéta blême au bord des larmes, incongru au milieu du défilé des tristes trognes.
Le tout dans une photo impeccable de Jules Kruger ; de la gueule vous dis-je.
Et avec le bon goût de ne pas durer trop longtemps, que je puisse éteindre ma lumière à une heure à peu près décente, pour enfin profiter du sommeil haché que l’on connait peu de temps après une naissance.