Il y a encore deux ans, Black Moth Super Rainbow n’était qu’une troupe d’allumés de Pittsburgh qui marinait sa popote psychédélique dans son coin, à destination de sa petite base de fans hardcore. Leur troisième album, le bordélique et acidulé Dandelion Gum, les avait certes sortis de l’anonymat, mais une étape supérieure devait être franchie. Et, comme pour beaucoup de groupes au son très lo-fi désireux d’accéder à un plus large auditoire sans complètement vendre leurs fesses, la solution s’appelait : Dave Fridmann. Après leur avoir offert la possibilité d’ouvrir pour les Flaming Lips, avec lesquels les BMSR partagent pas mal de conceptions soniques, l’omniprésent producteur a accepté de travailler sur le quatrième album des néo-hippies pennsylvaniens, Eating Us. Ce qui, au sortir d’une année MGMT, est plus qu’une chance : une bénédiction.
Comme souvent, Fridmann a accentué tout ce qui faisait déjà l’identité du groupe. Les envolées de Mellotron et de synthés vintage sont encore plus organiques ; le chant vocodé de Tobacco est plus éthéré que jamais (cf. “Fields are breathing”). L’écoute d’Eating Us procure des sensations assez similaires à celle de Dandelion Gum et des albums antérieurs : en gros, une béatitude champêtre et lysergique, comme si l’on ramassait des champignons dans une forêt humide où quelques rayons d’un soleil généreux percent par endroits les feuillages. Egalement intacte, cette impression d’entendre un mix entre les Flaming Lips et l’électronica des années 1990. Ce qui s’avère toujours aussi plaisant.
Fridmann a bien compris que la musique de “Papillon de Nuit Noir Super Arc-en-ciel” tenait plus de la profusion dionysiaque que de l’épure pop, qui n’est de toute façon pas sa spécialité. Il a donc contribué à enrichir la palette du groupe pour accentuer la variété de ses morceaux et ainsi construire un véritable album, moins stationnaire que ses prédécesseurs. Le banjo d’”American Face Dust”, les guitares acoustiques (par exemple sur la très pastorale “Smile the Day After Today”) ou celles, ultra-saturées façon “décollage d’A380” de la fin d’”Iron Lemonade” : tout cela participe d’un sentiment d’expansion, d’ouverture et de foisonnement. Le côté “film pour adultes”, déjà évident sur leur dernier maxi, est aussi renforcé par un usage récurrent des cordes et de voix féminines empreintes de candeur perverse (“Bubblegum Animals”).L’enregistrement de cet opus marque les premiers pas du groupe dans un vrai studio (celui de Fridmann, dans l’état de New-York), ce qui implique donc un son moins lo-fi. L’esthétique DIY en prend un coup, et les amateurs de longue date pourront considérer cela comme une traîtrise, mais BMSR n’est pas devenu lisse pour autant. “Dark Bubbles”, “Tooth Decay” ou le très efficace single “Born on a day the sun didn’t rise” ne sont pas moins vitaminés que les hymnes de Dandelion Gum, avec leurs basses funky et leurs rythmiques à cheval entre hip-hop et rock indé. Pourtant les morceaux les plus fédérateurs sont certainement les plus posés, à l’image du resplendissant “Gold Splatter”, avec ses paroles naïves et héliotropiques (“Beautiful sun / You’re my only friend”...), ou du non moins scintillant “Twin Of Myself”, très proche de ce que faisait Air à l’époque de Moon Safari.
Malgré la grande variété des titres, Eating Us se savourera de préférence à doses homéopathiques, l’abus de substances trop sucrées et chimiques n’étant pas conseillée, sous peine de crampes à l’estomac et autres effets secondaires indésirables. Il n’empêche que, dans la niche des “musiques droguées”, la petite communauté pennsylvanienne se taille une place de choix avec ce série de micro-hymnes païens au Soleil, dont l’insouciance a quelque chose de menaçant et de profondément anachronique.
En bref : sous la houlette de Dave Fridmann, BMSR pousse pour la première fois les portes d’un vrai studio sans rien sacrifier de son psychédélisme acide. Plus pop et moins lo-fi, Eating Us marque le passage à la vie adulte de l’un des groupes les plus trippés de la planète.
Le site et le Myspace de BMSR
Le site de Graveface Records
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A voir : le clip “interactif” de “Dark Bubbles”