Quand j'ai lu celui de Lily, j'ai tout de suite été curieuse de savoir ce qu'il y avait dedans.
Douceur, brutalité, Amérique des ranchs et des cow-boys, adolescente qui s'invente une autre vie, une histoire...
Que d'ingrédients prompts à titiller ma curiosité...
Je n'ai pas été déçue.
Une jeune fille va traverser une période douloureuse de sa vie : l'adolescence, de l'âge de douze ans à l'âge où l'on part pour l'université.
Elle vit dans un ranch, où elle a du mal à trouver sa place, mais peut-être qu'on ne la lui donne pas.
Elle est la cadette d'une drôle de famille dans laquelle elle a beaucoup de mal à se situer : sa grande sœur admirée de tous parce que star dans le milieu du cheval vient de fuir la maison familiale en se mariant avant d'être majeure à un cow-boy spécialiste des spectacles de rodéos.
Sa mère passe ses journées dans sa chambre devant la télé et reste submergée par une tristesse mystérieuse depuis que notre narratrice est née.
Son père travaille sans relâche à faire tourner le ranch et la maison, mais a beaucoup de mal à joindre les deux bouts.
Les échanges sont rares, peu prolixes, parfois blessants, parfois violents.
L'amitié n'est pas au rendez-vous au collège. Les relations entre filles se réduisent à une rivalité incessante autour des résultats scolaires, des toilettes plus ou moins bien portées, et de la popularité des unes ou des autres...
Être quelqu'un de reconnu et à l'aise dans son milieu, voilà ce que cherche désespérément Alice. Elle n'y arrive pas, mais elle a trouvé un moyen de se l'inventer...
Suite à la mort accidentelle d'une camarade de classe, l'adolescente rentre en contact avec le professeur d'anglais qui semblait proche de la jeune défunte. Tous les soirs, elle l'appelle et lui parle de son amitié rêvée et disparue, elle s'invente une vie autour, plus en phase avec ses rêves et ses désirs. Elle brode avec ce qu'elle a pu percevoir des vies des jeunes filles et des femmes riches qui viennent monter au ranch.
Mais peu à peu la réalité lui apprend que la vie est âpre et difficile pour tous.
Elle finit par poser un regard sans complaisance et lucide sur son milieu, mais avec tendresse et compassion.
La force de ce roman semble résider dans la manière dont est évoqué l'univers du cheval et la vie quotidienne d'une certaine Amérique rurale dans le Colorado.
Les descriptions des paysages, des fêtes et des concours sont magnifiques de vérité et ont une grande puissance évocatrice.
La relation complexe des hommes et des chevaux y est abordée sans fards, avec beaucoup de sincérité et ne cache rien des pratiques violentes utilisées parfois pour en mater certains.
L'auteur parle aussi de la manière dont les animaux peuvent être utilisés comme déversoir de rage par les hommes qui s'en occupent, et certaines scènes sont très fortes et douloureuses.
J'ai trouvé ce roman sombre et lumineux à la fois.
Il rend bien compte du regard acerbe et déconcerté que peut porter une adolescente sur la monde des adultes qu'elle commence à entrevoir et qu'elle ne veut pas vraiment rejoindre...
"Mais c'est alors que je le vis le point entre ses oreilles où le monde était encore invisible, bien net, l'endroit où nous voyions la même chose. Tout le reste se changea en martellement : sabots, coeur, peur, vitesse. La poussière se soulevait au dessus du sol, mes jambes se fondirent dans les flancs de Darling. En cet instant nous n'étions plus qu'un seul corps, voué à mourir pulvérisé. Je sentis la secousse dans ma colonne quand elle partit en pivot, la pointe de son sabot percutant le sol, la rotation qui nous souleva, tandis que le ciel, la terre et les gradins laissaient des traînées sanglantes autour de nous. Au centre, on prit un virage qui me souleva l'estomac dans la poitrine quand elle bascula sous moi, changeant de pied en plein saut, pour retomber sur l'autre en un seul et impeccable mouvement continu. En continuant autour de l'arène, je sentis la vitesse s'enfler en moi, et je la laissai filer, et tout le reste avec. Il ne restait plus rien, que le point entre ses oreilles, le centre de son corps coincé sous le mien. A travers le brouillard de poussière et de la chaleur, je vis s'approcher la barrière, et je me dis que nous allions la défoncer, passer par dessus, et, prenant notre envol, nous élever dans les airs, et enfin entrer dans ce qui venait quand la vie prenait fin, et que commençait la suite. "
L'article d'Astrid Eliard pour Le Figaro.fr,
Le billet de Lily.