Dix ans, jour pour jour ou presque, après qu’une réforme législative leur a donné le droit de vote, quatre femmes viennent de faire leur entrée au Parlement koweïtien. Sans doute, les circonstances qui ont amené sa dissolution sont loin d’être parfaitement claires (intéressant article sur Agora Vox), mais on ne boudera une telle occasion de se réjouir car l’actualité arabe n’en offre pas si souvent.
Ce succès au Koweït confirme la présence, toujours plus grande, des femmes arabes sur la scène politique, contrairement à bien des idées reçues. Par exemple, nombre d’observateurs avaient noté qu’elles étaient particulièrement nombreuses à s’être présentées aux élections législatives de novembre 2007 en Jordanie, non pas seulement dans les circonscriptions urbaines et « libérales » mais dans l’ensemble du pays. Elles avaient donc, dans certains cas au moins, le soutien des grandes familles, dont le fonctionnement ne laisse guère de place, en principe, à l’expression des femmes dans la vie publique. Cette année-là, d’ailleurs, une élue était entrée pour la première fois « normalement » au Parlement jordanien, c’est-à-dire portée par les suffrages donnés par les électeurs et non grâce au quota de sièges réservés aux femmes afin de renforcer leur représentation.
C’est dans la seconde moitié du XIXe que s’élèvent, dans le monde arabe, les premières voix qui appellent au changement, avec par exemple le discours resté célèbre du Libanais Boutros Al-Boustani (بطرس البستاني) sur l’éducation des femmes lors de la création de l’Ecole nationale (al-madrasa al-wataniyya) en 1863. Et si le premier journal féminin, Al-Fatât (الفتاة), est créé dès 1892 à Alexandrie, il faudra attendre le début du XXe siècle pour que les femmes commencent à exiger leur entrée sur la scène politique. Ainsi, l’Egyptienne Hoda Shaarawi (هدى شعراوي) s’efforça-t-elle (en vain) de rappeler en 1924 les plus importantes des revendications féminines à ses collègues du parti Wafd, pourtant majoritaires au Parlement.
A peine plus tard, en 1928, Nadhira Zayn al-din (نظيرة زين الدين) publiait Al-sufûr wal-hijâb (السفور والحجاب : Etre dévoilée ou non). A partir de la question du voile, qu’elle ne considérait pas comme une obligation coranique, cette jeune Syrienne d’origine kurde développait une critique de la manière dont la religion pouvait être utilisée, par les hommes, comme instrument de domination. Le livre fit scandale, mais il eut malgré tout plusieurs éditions et son auteur reçut le soutien d’importantes figures publiques, laïques et même religieuses.
Mais après leur affirmation politique durant les décennies suivantes, souvent à travers les luttes nationales pour l’indépendance comme dans le cas de l’Algérie, les femmes arabes, au fil du temps, ont vu leur place politique réduite comme peau de chagrin. Et si quelques-unes d’entre elles continuent à figurer dans la plupart des gouvernements de la région, il faut bien reconnaître que cette représentation est souvent aussi mal supportée que les pouvoirs qui l’imposent car les populations n’accordent plus aucune légitimité ou presque à leurs dirigeants et se tournent largement vers d’autres modèles politiques, fabriqués à partir d’un répertoire (néo)religieux qui ne favorise pas, en apparence au moins, l’émancipation féminine.
Pourtant, l’invisibilité politique des femmes dans le monde arabe n’est pas une fatalité, et l’actualité récente montre même qu’un mouvement inverse est amorcé ; d’une part parce que la modernisation politique est plus nécessaire que jamais pour les dirigeants eux-mêmes, en particulier dans la Péninsule arabe de l’après 11-septembre et, de l’autre, parce que l’« islamisation » - pour le dire très vite - en surface de la société n’exclut pas la présence, en profondeur, de courants plus puissants et plus significatifs, notamment celui des progrès de l’éducation et de l’individualisation des comportements dans les sociétés arabes d’aujourd’hui.
Caricatures faciles du « retard » arabe, ou plutôt, pour beaucoup, de son irrémédiable arriération, les pays du Golfe offrent le meilleur exemple d’une évolution qui prendra, bien entendu, du temps encore. La route est longue en effet dans ces pays où, comme le souligne une étude (article en arabe) réalisée à la demande du Conseil de coopération du Golfe dès 2005, la participation politique est proche du néant ou presque.
Malgré tout, les signes s’accumulent. Les lecteurs de ces billets se souviennent qu’on avait évoqué l’année 2008 comme celle de la femme en Arabie saoudite, en raison des nombreux signes traduisant l’amélioration, toute relative bien entendu, du statut de la femme dans ce pays. Sur le plan politique, ils auront peut-être gardé en mémoire ce double symbole qu’a constitué le choix d’un ambassadeur à la fois femme et juive pour représenter l’émirat de Bahreïn aux Etats-Unis. Et puis, toujours durant la même année, le rôle joué désormais dans le Golfe par une nouvelle génération de femmes (d’hommes) politiques était illustré par le classement, au palmarès de la revue Forbes, de sheikha bint Nasser al-Missned, brillante épouse de l’émir du Qatar (exemple commenté, avec bien d’autres, dans ce bon article de l’agence Associated Press).
Peu avant les élections koweïtiennes, en mars dernier, une femme a été nommée pour la première fois vice-ministre de l’Education et de l’Enseignement du Royaume d’Arabie saoudite, un pays qui occupe une place toute particulière dans la région. Même si l’on peut trouver des explications politiques à l’enthousiasme des journalistes étasuniens ravis de mettre en évidence les progrès de l’allié saoudien, on notera tout de même que, dans le dernier classement des « personnalités les plus influentes dans le monde » établi par la célèbre revue Time, ladite vice-ministre, Nura Al-Faiz, occupe la onzième place.Comme le souligne de son côté le quotidien en ligne Elaph qui parle même de « révolution tranquille » (article en arabe), l’élection - par le pouvoir saoudien - de cette femme est d’autant plus significative qu’elle n’appartient pas à la famille royale mais vient au contraire d’une famille modeste, à l’influence très locale. Un fait également noté par l’auteur de Saudiwoman’s Weblog (tout un programme !), une universitaire qui souligne aussi le fait que la presse a publié une photographie de cette femme ministre « en cheveux ».
(Le lien donné sur le blog renvoie à la photo ci-dessus, et il faut donc croire qu’elle a été changée depuis ; sur la question des codes qui régissent les représentations photographiques, voir l’onglet « image » à droite de ce billet ; sans doute pour la même raison, Time a choisi d’illustrer son article par ce dessin, ci-contre, où l’horrible le dispute au grotesque !)
Oui, tout de même, le Golfe arabe connaît une petite « révolution tranquille » (à suivre, la semaine prochaine, en espérant rester aussi optimiste).