Université : la victoire à la Pyrrhus du gouvernement

Publié le 18 mai 2009 par Lbouvet

La lecture des communiqués et commentaires ministériels récents pourrait laisser penser que le gouvernement a remporté une « victoire » sur les universitaires. La publication, au beau milieu des vacances de printemps, des décrets d’application de la loi LRU (elle-même déjà adoptée en pleines vacances d’été en 2007) fortement contestés – notamment celui portant révision du statut des enseignants-chercheurs – a permis à la ministre en charge de l’affaire, Valérie Pécresse, de claironner que la partie engagée depuis plus de trois mois contre les universitaires était terminée. Et qu’elle l’était sur une victoire de sa part puisqu’elle aurait enfin réussi à « réformer l’université » (sic) ! Et ce, au prix de concessions mineures qui n’entacheraient en rien l’intention réformatrice de départ.
Cette interprétation gouvernementale est pourtant très largement erronée, pour deux raisons. Premièrement parce que l’intention réformatrice initiale s’est rapidement révélée n’être, sous prétexte de mise en œuvre de « l’autonomie des universités » (en fait de l’autonomie du pouvoir des présidents d’universités), qu’une double tentative de mise au pas des universitaires (par exemple tentant de mettre fin à leur indépendance statutaire pourtant garantie comme principe à valeur constitutionnelle) et d’économie de moyens, notamment des postes d’enseignants-chercheurs, sans rapport avec les besoins considérables d’établissements universitaires sous-financés depuis trente ans. Deuxièmement parce que la méthode employée pour « réformer » a été désastreuse : le refus obtus de toute négociation réelle de la part du gouvernement a conduit à souder comme jamais une communauté universitaire qui a pris, à l’occasion de ce mouvement, conscience de ses intérêts communs bien au-delà de ses divisions traditionnelles. Valérie Pécresse et le gouvernement devraient donc se garder de crier victoire.

Si les conséquences du conflit ne sont pas toutes immédiatement visibles par les Français, elles n’en sont pas moins graves : l’université française a été profondément et durablement affaiblie alors même que le gouvernement prétendait la renforcer. D’une certaine manière, la communication gouvernementale, bien relayée par une presse largement complaisante, a réussi. Aidé par l’ampleur de la crise économique et sociale que traverse le pays, cet effort de propagande a sans doute réussi à convaincre une partie de l’opinion publique que les universitaires étaient non seulement des fonctionnaires fainéants, surpayés et improductifs – une description en conformité avec celle, récurrente, du Président de la République – mais encore des ingrats doublés d’idiots, incapables de comprendre les bienfaits que le gouvernement entend leur prodiguer – une rhétorique ministérielle tout aussi habituelle.

Mais en tentant de discréditer les universitaires auprès des Français, en les humiliant comme l’a fait Nicolas Sarkozy lui-même lors de son discours du 22 janvier 2009, en masquant constamment les objectifs réels de la « réforme » et en jouant le pourrissement de la situation – dont la radicalisation actuelle dans certains établissements n’est qu’une conséquence directe –, le pouvoir s’est tiré une balle dans le pied. Car c’est la capacité même de la société française d’entrer dans cette « société de la connaissance et de l’innovation », dont on nous a tant dit qu’elle était notre seul espoir face aux bouleversements de l’ordre du monde, qui est aujourd’hui atteinte à travers l’université.

Celle-ci a en effet perdu dans la bataille un peu plus encore du déjà faible crédit dont elle dispose auprès des Français qui n’y envoient leurs enfants que contraints et forcés lorsque ceux-ci n’ont pas été admis, après le bac, dans les filières sélectives de l’enseignement supérieur (classes préparatoires aux grandes écoles, écoles spécialisées, BTS ou IUT). En prétendant réformer comme il l’a fait l’université, le pouvoir actuel n’a fait que démolir un peu plus un des rares instruments de cette double aspiration que représente encore, bien qu’imparfaitement, l’université en France : celle d’une relative égalité des chances et celle de la possibilité d’une ascension sociale ouverte à tous ou presque.

Autre conséquence de cette politique de Gribouille : toute tentative de réforme de l’enseignement supérieur, quels que soient son objet et son urgence, sera désormais plus difficile encore. L’occasion a été consciencieusement gâchée par un pouvoir qui n’aura finalement montré dans cette affaire que son appétence pour une idéologie de meeting électoral et sa courte vue politique – y compris d’ailleurs au regard de ses propres intérêts. La communauté universitaire française, à la fois humiliée et trahie, aura très certainement à cœur de faire payer à la droite française, dans les urnes d’abord, ce calamiteux épisode – on relèvera ainsi, à titre d’exemple, que Valérie Pécresse n’a visiblement pas bien mesuré les conséquences de son comportement vis-à-vis d’un corps électoral à la capacité de prescription politique bien supérieure à sa faiblesse numérique nominale, surtout en Ile-de-France où elle sera candidate aux élections régionales de 2010… Mais, plus profondément encore, les universitaires ne participeront que contraints et forcés à la mise en œuvre des mesures finalement décidées unilatéralement par le gouvernement. L’autonomie telle qu’elle a été conçue ne fonctionnera pas ou si mal que les effets positifs qui pouvaient en être attendus seront dilués dans la résistance sourde et passive, mais efficace puisqu’en prise directe avec son terrain, d’un « corps universitaire » (selon l’expression du philosophe Vincent Descombes) qui a pris, à cette occasion, conscience de lui-même et de sa puissance.

Cet article a été publié sur le site nonfiction.fr

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