C’est l’histoire d’une poupée. Un petit garçon que sa maman a voulu beau, élégant, et aussi lisse que la porcelaine. Dans son cocon familial comme une poupée de collection conservée dans son emballage, Poupée est enfermé. Ses parents veillent à ce qu’il soit parfait, à ce que les petits rouages dans son ventre fonctionnent sans grincer.
Poupée est la chose de sa mère. Telle une petite fille pour qui un poupon est un trésor, une « poupée vivante », la mère de cet étrange petit garçon en fait son objet, un petit objet précieux qu’il ne faut pas perdre, et que la mère garde sur elle, terrifiée à l’idée qu’il pourrait se casser, changer.
Poupée, c’est l’histoire d’une enfance. Un livre aussi étrange et beau que le petit automate de la couverture est inquiétant et mignon. Etrange, oui, comme on dit de quelque chose qu’on ne parvient pas à classer, à répertorier. Comme on dirait d’une œuvre qui nous dérange autant qu’elle nous fascine.
Julien Burri publie des livres depuis ses dix-sept ans. Poète avant tout, il a fait paraître, en 2008 un recueil magnifique, Si seulement (Samizdat), que l’on pourrait considérer comme annonciateur de cette dernière parution chez Bernard Campiche. En effet, le recueil, mettant des mots de prose poétique sur le rapport entre père et fils, préfigure quelques éléments de Poupée, en cela qu’on y trouve déjà cette déception paternelle que représente la différence du fils. Des poèmes au roman, le style change, bien évidemment, mais on remarquera toutefois une commune économie de mots, dont l’effet de pureté se fait puissamment ressentir dans les deux ouvrages. Un effet paradoxal puisque, dans l’un comme dans l’autre, il est justement question de la perte de cette pureté enfantine, de cette innocence.
Mais comment perdre sa candeur lorsqu’on est une poupée ? C’est ce que raconte Julien Burri, au fil des pages, trahissant, sans vraiment d’autre possibilité, l’évidence même de ce livre, qui réside en ceci qu’il s’agit là davantage d’un petit garçon que d’une petite poupée…
Il grandit… Et ce garçon solitaire, bien qu'il reste cloîtré dans la demeure familiale, va faire l’expérience du désir, ce que Julien Burri décrit avec remarquablement, en restant toujours très allusif. Le désir comme une fuite, même si Poupée aime sa mère – il ne pourrait faire autrement…
Le temps passe et il grandit. Son corps, comme avec une certaine maladresse, se déforme. Et, de la mère, qui était omniprésente, on passe au père qui, lui, jusqu’au bout, alors que son épouse abandonne, tente de trouver le grain de sable dans les rouages de son fils : « J’ai peur que ce ne soit déjà en toi. J’ai pris des relevés, mesuré la distance entre tes épaules, la largeur de ton bassin. (…) C’est ce que je craignais. (…) La latéralisation montre que les invertis ont une préférence pour la main gauche. Je prie pour toi. » Mais, après un Rite de passage rappelant une sombre et virile coutume grecque, le fils semble persister dans sa différence, et le père n’osera plus jamais le toucher.
Poupée, véritable ovni littéraire, déconcerte par sa grande part de fantasme qui, dans un flou artistique fort intéressant, mêle étroitement les imaginaires du personnage principal et, certainement, de son créateur. Infiniment troublant, ce roman interpelle son lecteur au point même, parfois, tant les sentiments et les sensations enfantines y sont rendues avec acuité, de réveiller une part de sa propre enfance.