"Les déferlantes" Claudie Gallay. Roman. Editions du Rouergue, 2008.
Pour beaucoup, La Hague c'est avant tout un centre de traitement de déchets radioactifs dont on entend parler de loin en loin lorsque des militants écologistes viennent manifester contre les activités de la COGEMA (aujourd'hui AREVA). Mais c'est oublier un peu trop vite qu'à l'origine La Hague est un cap situé au Nord-Ouest de la péninsule du Cotentin et regroupant plusieurs communes.
C'est ici, dans cette région sauvage et battue par les vents que Claudie Gallay a planté le décor de son roman « Les déferlantes ».
La narratrice, une ornithologue, s'est installée depuis quelques mois dans ce village du bout du monde dont elle arpente la côte afin de recenser les différentes espèces d'oiseaux marins qui nichent dans les falaises.
Elle a trouvé un logement à La Griffue, un ancien hôtel délabré du bord de mer dont elle partage l'espace avec Raphaël, un sculpteur taciturne qui vit ici avec sa sœur Morgane, une jeune femme au caractère fantasque.
Cette narratrice – dont on ne connaîtra jamais le prénom – est aussi arrivée ici pour en finir avec son ancienne existence et tenter de refermer les cicatrices dues à la mort de son compagnon que l'on devine avoir été emporté par un cancer.
Peu à peu, à force de patience, elle a fini par s'intégrer à la petite communauté de ce village en fréquentant le bar tenu par Lili, une vieille file au caractère bien trempé qui entretient sa mère à demi sénile. Elle y fait connaissance avec Max, un vieux garçon un peu simple d'esprit, un peu philosophe, désespérément amoureux de Morgane. Elle y rencontre aussi monsieur Anselme, un vieil intellectuel qui ne parle que de Jacques Prévert qu'il a connu par le passé quand le poète vivait dans les environs (à Omonville-la-Petite). Il y a aussi Nan, une vieille femme un peu folle qui court les grèves à la recherche des siens disparus en mer alors qu'elle n'était encore qu'une enfant. Et puis il y a Théo, un vieillard solitaire, le père de Lili, ancien gardien de phare qui vit retiré au dessus du village au milieu de ses chats.
C'est par un jour de tempête qu'arrive un inconnu, un homme prénommé Lambert. Très rapidement les villageois reconnaissent en lui le fils Perack, le seul enfant survivant d'une famille dont tous les membres se sont noyés lors du naufrage d'un bateau de plaisance à la fin des années 60. On s'interroge : que vient-il faire ici ? Il semblerait qu'il soit venu vendre la maison de famille mais ses errances dans les environs et son manque d'empressement à conclure la vente plaident en faveur d'une autre raison. Serait-il venu ici afin de faire toute la lumière sur la disparition de sa famille, et particulièrement en interrogeant Théo qui est soupçonné d'avoir volontairement éteint le phare la nuit du naufrage ?
L'arrivée de Lambert va réveiller les fantômes du passé, rouvrir d'anciennes plaies que l'on croyait enfouies sous la poussière des années et révéler enfin les secrets que chacun des protagonistes tenait jusqu'ici caché dans un recoin de sa mémoire.
Que dire si ce n'est que je me suis plongé avec délices dans ces « Déferlantes », suivant pas à pas tous ces personnages meurtris par la vie et qui portent chacun leur part de solitude et de renoncement. La dimension peut-être un petit peu trop « romanesque » des personnages rencontrés m'a un peu gêné au début, un sentiment qui s'est rapidement effacé une fois entré de plain-pied dans l'intrigue visant à découvrir le mystère planant autour des circonstances de la disparition des membres de la famille Perack lors du naufrage.
La description psychologique des protagonistes de cette histoire est amenée aussi de manière fort subtile, avec beaucoup de non-dits et une grande retenue, ce qui nous dispense ainsi des écueils mélodramatiques que l'on rencontre assez souvent dans nombre de romans.
Quant à ce qu'il en est de l'intrigue elle-même, on en vient peu à peu à suivre comme dans un polar les différentes révélations qui nous sont faites au fil du récit, révélations qui lèvent progressivement le voile sur les circonstances et les conséquences d'un drame survenu plus de trente ans en arrière.
Ainsi, les silences, les vieilles haines, les secrets inavouables trouvent progressivement leur explication et le lecteur – à l'instar de la narratrice – devient le témoin de l'aboutissement de cette dramatique histoire qui pèse depuis de trop nombreuses années sur cette petite communauté d'hommes et de femmes perdus au bout de cette langue de terre qui s'enfonce dans l'océan.
Et puis il me faut avouer aussi que l'intérêt que j'ai trouvé à ce roman me vient aussi de souvenirs personnels, ayant de par le passé emprunté les sentiers douaniers de la côte lors de visites chez un de mes très grands amis (Hello Stephan ! ) Chaque lieu évoqué dans ce roman parle à ma mémoire : la baie d'Ecalgrain, le Nez de Jobourg, Saint-Germain-des-Vaux, Port-Racine, et bien sûr Auderville.
Les paysages de cette région, d'une beauté à couper le souffle sont en effet le cadre idéal pour tenir lieu de décor à un récit comme « Les déferlantes ». Les landes, les murets de pierre délimitant les pâturages où paissent vaches et moutons, la lumière toujours changeante, le vent , les nuées aussi violentes qu'imprévisibles ont valu – à juste titre – à ce petit bout de terre son appellation de petite Irlande.
Comment ne pas imaginer – face à ces paysages grandioses et en grande partie préservés des ravages de l'urbanisation – que les âmes, semblables en cela aux éléments qui ont modelé cette côte déchiquetée, comment ne pas imaginer en effet que les âmes des hommes et des femmes vivant ici ne renferment pas en elles cette même puissance créatrice et destructrice, cette force en apparence si paisible et pourtant susceptible de se déchaîner en un éclair ?