[Le second est ici]
Elle avait osé, ce sont ses mots, m'envoyer un mail qui avait flingué net près de trente années de rien. Hésitante, intéressée, passionnée même à certains moments, fougueuse, nous avions correspondu quelques temps. Je suivais finalement plutôt bien la cadence. Je ne crachais pas sur cette occupation, j'en conviens. Ils m'aéraient.
Je n'étais pourtant pas d'excellente compagnie, il me semble.
Je ne lui posais aucune question, par exemple. J'en avais perdu l'habitude. Ou alors elles me venaient après. De toutes façons, elle m'en posait des tas, sur tout, et rien qu'y répondre sans perdre le fil me demandait pas mal de concentration. Ca faisait la balance. Elle questionnait comme le font ceux qui veulent s'éviter. J'étais impressionné qu'elle ne soit pas plus curieuse que ça, mais elle avait visiblement tant de choses à dire...
Au départ, je trouvais cela un peu puéril, ces retrouvailles. Pour moi, ces échanges étaient forcement voués à l'échec, sans issue. C'était déjà complètement improbable, ce qu'il se passait là puisque je n'avais pris une adresse email que par hasard. Pour m'inscrire sur un site ou un truc comme ça. Qui donc aurait pu m'écrire, désormais ? Et à qui donc aurais-je pu envoyer des missives, à part à des inconnus ? Je m'en étais gavé un moment, au début, et puis tout passe, comme on dit.
Alors Sylvie, pourquoi pas ? D'autant que j'y trouvais aussi mon compte. Et puis notre correspondance me sortait de mon tout seul. Bien sûr, j'avais besoin de temps, ça remuait, aussi, tout cela. Forcément. Surtout que je ne me souvenais plus si nous avions eu ou non une relation. Cette question me taraudait finalement plus que tout le reste. Je creusais dans mes souvenirs aussi profondément que possible mais impossible de me souvenir. Chaque mail reçu lançait le clignotant, les feux de détresse, chaque réponse me faisait palpiter. Pendant les temps morts, je me disais qu'à défaut, ça pourrait bien se rattraper. Quelque chose me reviendrait peut-être, alors.
Ca faisait longtemps que je n'avais pas pensé à quelque chose pouvant survenir. Je n'aurais pas craché dessus, quelle que soit la physionomie de Sylvie du moment. Quel que soit son caractère. Sa vie. Je connaissais suffisamment la mienne, après tout.
Un jour, elle me demanda si elle pouvait venir me voir. Je n'en fus pas plus surpris que cela. Ses assauts témoignaient de son impatience, canalisées néanmoins, et révélaient un sens de l'action que je lui enviais, à quelques moments.
J'en ai très envie, vraiment, mais au fait, tu habites où précisément elle m'avait demandé un jour sans que lui réponde puisque je lui proposai aussitôt de venir la voir. C'est plus simple, j'avais dit. Et puis ça fait tellement longtemps que je ne suis pas venu !
Elle avait ricané. Ô, tu sais, ça n'a pas bougé ici. Mais d'accord. Je t'attendrai à la brasserie. Elle me communiqua son numéro de portable. Au cas où.
Je ne me souvenais de rien mais je lui dis ok. Je ne lui donnai pas le mien, de numéro.
Nous avions échangé quelques anecdotes et puisque j'étais maintenant convaincu que c'était bien elle, Sylvie, la Sylvie comme on disait, j'avais de toutes façons saisi qu'on ne couperait pas à la rencontre. Il n'était évidemment pas question qu'elle vienne ici. Je ne pouvais donc pas faire autrement. Revenir. En ville. Cette ville. Ma ville. Ca me terrorisait.
Je viens un samedi, je lui avais écrit, la semaine, j'ai trop de boulot.
Je n'avais pas estimé nécessaire de préciser que je n'en avais pas, de boulot.
Quelques heures, je ne peux pas plus
Je n'avais pas souhaité non plus préciser qu'en réalité, j'aurais pu la rejoindre sur le champ et rester le reste de mes jours en ville. Je voulais contrôler ce que je pouvais. Le réglement, de toutes façons, me permettait à peine des escapades. Le médecin par contre voyait cela d'un bon oeil.