Alors que le plan Harpie est discrètement remis en place en Guyane pour lutter contre l'orpaillage clandestin, les désastres écologiques et humains de la chasse
à l'or continuent en Amazonie. Un drame mis en lumière par le documentaire "La fièvre de l'or", d'Olivier Weber, sorti en DVD le 6 mai dernier.
"La terre de Guyane ne sera plus violée impunément !", c'est ce que promettait Nicolas Sarkozy il y a un an, lors de son discours de Camopi, village amérindien d'Amazonie. Pour cela il
annonçait le déploiement du plan Harpie, opération "exceptionnelle" destinée à renforcer le dispositif de lutte contre l'orpaillage clandestin. Pourtant, si les actions entreprises depuis lors
ont permis de saisir 63 kg d'or clandestin et 323 kilos de mercure au cours de l'année 2008, la situation reste alarmante.
Car dans un contexte où le cours de l'or atteint des sommets, l'orpaillage illégal est encore une activité particulièrement dynamique en Amazonie, et notamment en Guyane française. Avec son lot
de conséquences désastreuses que nous montre Olivier Weber (grand reporter au Point) dans son DVD. Ce qu'il y décrit est un monde où "les règles françaises sont extensibles ; où l'on peut encore
faire ce que l'on veut", affirme un chercheur d'or actif depuis 20 ans dans la région. Ce que "l'on veut", c'est extraire l'or en dépit de toute considération environnementale et humaine, avec
des méthodes rudimentaires et à moindre coût. La plus utilisée est le jet de pression d'eau projetée pour décaper les sols et dont la boue, rendue toxique par le déversement de mercure (1,3 kilo
de mercure est utilisé pour 1 kilo d'or récupéré), est rejetée sans aucune précaution dans les rivières.
Trafic de mercure
Officiellement banni du territoire depuis 2006, le mercure utilisé pour amalgamer l'or fait l'objet d'un lucratif trafic parallèle, qui enrichit les trafiquants mais condamne une partie de la
population, principalement les améridiens vivant sur les territoires de l'orpaillage. Leur principale source de protéine, le poisson, est en effet truffée de mercure et contamine en premier lieu
femmes enceintes et enfants. Dans un village, Olivier Weber filme ainsi un membre de l'association "solidarité Guyane" occupé à couper les cheveux des enfants pour en mesurer le taux de mercure.
Verdict : 13 à 16 microgrammes par gramme de cheveux, soit 4 fois la norme internationale autorisée (la norme européenne est de 2,5 mg)... Pas étonnant, donc, que les malformations, séquelles
neurologiques ou cancers se multiplient au sein de la population, particulièrement chez les Wayanas. "Plus qu'un scandale, c'est un ethnocide, car la France laisse mourir un peuple ici" s'emporte
ainsi un membre de l'association des amérindiens Oka Mag, Philippe Aquila.
"L'or, le sang et la sueur sont intimement liés" estime un autre protagoniste du documentaire. Mais cela n'empêche pas les femmes de le porter. De toute façon, personne ne veut savoir, ne cherche
à savoir". Dans la région déjà, les pépites font figure de monnaie locale. Salaires, prostituées ou alcool du supermarché, tout se paye avec l'or. Mais l'or, qu'il soit légal ou non, est aussi
exporté et atterrit in fine dans les banques ou chez les joaillers. Le gouvernement français peine à assurer la traçabilité de la filière : en 2005 le Sénat estimait que 8 à 10 tonnes d'or (qui
se monnaye actuellement à 20 € le gramme) quittaient illégalement la Guyane. Et déjà, sur près de 10 tonnes d'or déclarées à l'exportation, seules 3 l'ont été à la production. "Il existe pourtant
une loi qui garantit l'origine de l'or, mais qui n'a jamais été signée pour la Guyane", souligne Romain Renoux, responsable du pôle outre-mer du WWF. L'ONG, qui réalise une étude sur la
traçabilité de l'or guyanais (à paraître en juin), milite aussi pour "qu'à l'occasion de la Saint-Valentin 2010, un premier bilan de la traçabilité soit publié et qu'une garantie soit mise en
place pour celle de 2011".
Une destruction continue
Pour stopper les chercheurs d'or, qui font fructifier ce marché mais aussi celui de la prostitution et le crime, les moyens mis en place par les autorités semblent parfois dérisoires. Les
orpailleurs des chantiers clandestins sont prévenus à l'avance par leurs confrères des descentes de gendarmerie. Quant aux barrages mis en place, faits de bidons et de fils, "ils sont facilement
franchis par les pirogues lancées à toute vitesse" avouent les gendarmes désabusés.
Les chiffres fournis en guise de conclusion donnent le tournis : "chaque année, 300 tonnes d'or sortent de l'Amazonie (Brésil, Guyane, Suriname) et 120 tonnes y rentrent. Le temps de voir ce film
(1h30), 51 kilos d'or ont été récoltés, 20 kilos de mercure ont été déversés et l'équivalent de 700 terrains de football ont été déforestés".
La bataille contre l'orpaillage clandestin (500 sites recensés en 2006 en Guyane, employant 3000 à 15 000 travailleurs illégaux) et son pendant, la lutte contre la dégradation de l'environnement
et des conditions de vie des amérindiens, sont encore loin d'être gagnées. La filière parallèle extrairait en effet trois fois plus d'or que la filière classique (10 tonnes annuelles contre 3).
Et selon le WWF, les chantiers clandestins démantelés par le plan Harpie se sont en partie déplacés au Suriname voisin.
Les conséquences sur la forêt amazonienne, repaire d'une biodiversité encore foisonnante, sont dramatiques. Dans un rapport dévoilé en février par le journal France Guyane, l'Office National des
Forêts s'alarme de la croissance exponentielle de la déforestation. L'ONF estime ainsi qu'entre 2007 et 2008, plus de 900 hectares de forêt ont été décimés par l'orpaillage dans le parc
amazonien. En moins de 20 ans, 3273 hectares (sur les 3 milliards du parc), 405 kilomètres d'eau ont été détruits, et 1121 km de fleuves ont été pollués.
> DVD "La fièvre de l'or", documentaire d'Olivier Weber (sorti le 6 mai 2009), accompagné du livre "j'aurai de l'or", aux éditions Robert Laffont, 2008.
-Source : Novethic-