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Des otages à libérer ?

Publié le 17 mai 2009 par Perce-Neige
Des otages à libérer ?Pour autant que je me souvienne, le kenyan, ce soir-là, s’était, comme par hasard, contenté d’opiner brièvement du bonnet quand je m’étais permis de suggérer qu’il lui faudrait, tout de même, nécessairement se joindre à nous… Sauf qu’il s’était bien gardé, naturellement, de prendre ouvertement parti dans la querelle qui m’opposait à Mauduit. Avachi en travers de son hamac, et tripotant le cigare cubain que je venais de lui glisser dans les pattes et dont il reniflait paresseusement les extrémités, il nous écoutait d’une oreille qui, je crois, se voulait ostensiblement distraite alors que je me démenais comme un beau diable en tâchant de convaincre l'autre cinglé qu’il était, diplomatiquement, complètement irresponsable de les laisser plus longtemps là-bas. « Trop dangereux… » répondait-il invariablement sans, toutefois, savoir rien répéter d’autre que ce constat lamentable. Tout juste s’il interrompait, parfois, sa rumination muette, pour avaler, non sans l’avoir longuement gardé en bouche, une bonne rasade de whisky, dès qu’il tournait son visage vers le mien, me fixant alors intensivement du regard comme si je venais, la veille, de débarquer d’une autre planète. Ce n’était, d’ailleurs, pas tout à fait faux. J’avais atterri à Mogadiscio, moins d’une semaine plus tôt, avec la mission un peu spéciale d’activer sans délai notre réseau de correspondants et, surtout, d’obtenir, des autorités militaires, l’assurance que le contingent français lancerait sans trop tarder une expédition dans la jungle en bonne et due forme en vue de récupérer les trois humanitaires qui s’étaient aventurés un peu plus que de raison sur le territoire de la guérilla. Ma situation était, évidemment, pour le moins délicate puisque je ne pouvais guère, officiellement, me prévaloir auprès de Mauduit des instructions qui m’avait été pourtant données et qui me venaient, directement, de l’entourage du ministre. Pour tous les types que je rencontrais, la plupart alcoolisés à mort, je n’étais rien d’autre d’un obscur fonctionnaire du Quai d’Orsay censé rédiger un rapport de plus sur la situation sanitaire dans l’est du Rwanda. J’ai failli tourner chèvre ce soir-là, vu qu’il faisait une chaleur de dingue dans ce baraquement crasseux qui jouxtait le camp d’entraînement. La clim avait beau tourner à plein régime en nous assommant de décibels d’enfer derrière la cloison, elle ne faisait que s’épuiser à rafraîchir d’un demi degré, à peine plus, l’épouvantable fournaise. Je suais à grosses gouttes et Mauduit devait sentir qu’il allait finir par avoir ma peau. « Alors j’irai seul… » ai-je dis, soudain, d’un ton calme, posé, et qui se voulait sans réplique. Puis j’ai commencé à me diriger tranquillement vers la porte en espérant qu’ils comprendraient, enfin, que je n’avais nullement l’intention de reculer. Mais ils n’ont pas bougé. Ni Mauduit ni le kenyan n’ont semblé attacher la moindre importance à ma sortie. Seule Margot s’est levée quand je me suis tourné vers elle, histoire de m’assurer qu’elle était disposée à me suivre. Je l’ai attrapée par le bras et me suis drôlement retenu pour ne pas la taquiner, comme je ne cessais de le faire depuis trois jours, quand elle est passée devant moi avec une infinie nonchalance et en forçant son sourire nettement plus qu’il n’était nécessaire. Dès que nous avons été dehors, j’ai vu qu’une bonne vingtaine de singes criaient à qui mieux mieux, à quelques de mètres de la terrasse, sans doute importunés dans leur sommeil par une petite troupe de collégiens qui avaient pris d’assaut l’esplanade où divers véhicules semblaient avoir été oubliés depuis des lustres, pour y improviser un terrain de foot passablement poussiéreux. J’ai alors pensé, je ne sais pourquoi, à Aymeric et à Benjamin qui s’imaginaient toujours l’Afrique comme une étendue désertique de sable, et de roches, ou à peu près, et parvenaient difficilement à croire aux récits que je leur faisais de collines boisées et de forêts hantées par des esprits facétieux dont j’aimais à raconter l’histoire fabuleuse quand je rentrais à la maison. Où étaient-ils, tous les deux, à ce moment précis ? Étaient-ils déjà rentrés de l’école, réfugiés dans leur chambre du premier étage à Montmorency, tandis qu’Elodie leur préparait à dîner et qu’ils sautaient sur leur lit en gigotant comme des malades ? Et Hélène, bon sang, où était-elle ? Perdue dans les embouteillages, comme presque chaque soir, quelque part sur le périph entre la porte d’Ivry et celle de la Chapelle ? A s’infuser une compilation de rythmes zen, vaguement relaxants, vaguement stratosphériques ? Oui, bordel, que fabriquait-elle exactement, à ce moment précis ? A quoi pensait-elle au moment où je me penchais vers Margot dans l’idée de m’enivrer de son parfum, de l’odeur aigre et nouvelle de sa peau, de ses rires étouffés dont elle n’avait cessé de me gratifier depuis qu’elle s’était présentée à moi derrière le portillon de sécurité de l’aéroport. « Monsieur Parmentier… C’est l’ambassade qui m’envoie. Je suis chargée d’organiser votre séjour. » Ben voyons... Naturellement, je n’en croyais pas un mot. J’avais compris. Tout compris. Mais sans avoir vraiment, ce jour-là, envie de discuter. Elle m’a conduit à l’Intercontinental où nous avons dîné et pas mal bu, et pas mal raconté de sottises. Puis, brusquement, je lui ai dis que j'avais sommeil. Ce qui n'était qu'à moitié vrai. Car je suis resté longtemps à la fenêtre de ma chambre. Longtemps j’ai observé le ciel, chargé de nuit, alourdi de rumeurs incertaines comme si l’obscurité, après avoir étendu son emprise jusque bien au delà de l’horizon, s’était chargée de mille et unes aspérités qui se bousculaient, se juxtaposaient, se perpétuaient puis se défilaient à mesure que je tachais d’en identifier la provenance. C’était, d’abord, l’odeur d’un feu dont la proximité me surprenait et qu’accompagnaient des éclats de voix dont je croyais reconnaître les accents (le jeune garçon qui m’avait porté mes valises ?). Puis c’était le tintamarre d’un âne qui semblait surgir de nulle part, plus loin que je ne l’imaginais. Plus tard encore le jappement des chiens qui bientôt s’en donneraient à cœur joie, déchirait la rumeur paisible du ciel étoilé. J’ai pensé, alors, à ce qu’Hélène m’avait confié, juste avant mon départ, et à tout ce que ces confidences allaient impliquer d’inévitable déchirement mais, peut-être, aussi de renouveau et d’espoir. « J’ai toujours pensé, en fait, que nous finirions un jour ou l’autre, par nous séparer… » avais-je dis tandis que le taxi s’impatientait dans l’impasse. Nous nous étions, tous deux, efforcés de retenir des larmes qui, sans doute, n’auraient eu à peu près aucun sens, au fond. Sauf celui de nous apitoyer sur nous-même, ai-je songé dans le pick-up que Mauduit avait fini par accepter de mettre à ma disposition, trois jours plus tard. Margot venait de poser la main sur mon genou et le kenyan trafiquait comme un fou son portable qui grésillait à tire-larigot. La piste était terriblement défoncée et je me suis dis que nous étions partis pour trois jours de voyage. Au moins. 

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