La carotte...
Anniversaire présidentiel oblige, Nicolas Sarkozy semblait s'être calmé. Serein, il s'affiche, lors d'un déjeuner avec les dirigeants d'un hebdomadaire dit d'opposition. Serein, et apaisant, il proclame son admiration à Angela Merkel et à l'Allemagne toute entière lors d'un meeting électoral dimanche 10 mai. La campagne européenne se présente artificiellement bien pour l'UMP: la gauche part faiblement mobilisée; les souverainistes ont perdu leur argument anti-Bruxellois habituel depuis l'intervention dispersée et nationale des Etats face à la crise. Le quiproquo européen est à son maximum: les Etats ont pris le dessus, l'Europe s'est effacée. Même sur des sujets d'intérêt commun, comme la durée du temps de travail, le plan Energie Climat, ou la traçabilité de la filière bois, les chefs d'Etat ont brisé les élans généreux du Parlement. De quelle Europe parlera-t-on ? Voici même que Christine Lagarde est donnée partante pour la Commission de Bruxelles en juin prochain...
Serein et conciliant, il accepte, lundi, de revoir la gouvernance des CHU prévue dans la loi "Hôpital, Patients, Santé et Territoires (HPST)": "Le directeur ne doit pas devenir un despote absolu". C'était effectivement l'une des mesures les plus contestées, mais pas la seule, ni même la plus importante. La loi entérine la transformation des hôpitaux en entreprises, les patients en consommateurs de soins. Serein, mais ferme, il écoute, mardi, l'inquiétude d'infirmières et de sages-femmes. 70% des Français interrogés par l'institut CSA approuvent la mobilisation contre la loi Bachelot. Qui dit mieux ?
Serein, et généreux, Sarkozy a aussi joué social. Mardi, Brice Hortefeux, assisté de son secrétaire à l'Emploi, présentait la mise en oeuvre des chèques "emploi service" de 200 € promis par le Monarque en février, sous la pression de la rue. Ces subsides bienvenues seront envoyés à compter de juin, à 1,5 million de foyers modestes. Laurent Wauquiez a pris l'habitude de "twitter" ses émotions sur le réseau social éponyme : c'est donc "bon pour le pouvoir d'achat et bon pour l'emploi dans les services à la personne". Ce sont surtout les manifestations qui se révèlent bonnes pour le pouvoir d'achat... Jeudi, le président lui-même recevait son rapport tant attendu sur le partage de la Valeur Ajoutée. Il a même demandé aux syndicats d'"ouvrir des discussions sur les différents thèmes abordés" sans plus tarder, et de lui transmettre des conclusions d'ici le 15 juillet. Raymond Soubie, le conseiller social du monarque, a précisé l'ultimatum: " Ou les organisations sont responsables et se saisissent du sujet, ou elles ne veulent pas en discuter et, dans ce cas, nous tournerons la page et prendrons des décisions".
On remarquera que Sarkozy n'a pas tant attendu pour faire voter l'abaissement du bouclier fiscal à 50% en juillet 2007. Depuis l'automne dernier, le partage des profits est un sujet de diversion présidentielle agité par Nicolas Sarkozy et l'UMP. Il fallait bien "moraliser le capitalisme", puisque les excès de ce dernier sont la source de nos problèmes. Faudra-t-il ressortir du placard les 37 propositions vite publiées, vite oubliées de novembre dernier ? Le rapport confirme des constats connus : les salaires nets progressent peu, les dividendes ont pris le pas sur l'investissement, les bénéfices sont très peu redistribués aux salariés sous forme d'épargne salariale ou d'interessement. On attend toujours un Grenelle de la précarité... Depuis mai 2007, Nicolas Sarkozy, le chantre du "travailler plus" a multiplié les "Grenelles" et les "Commissions" .... sauf sur le travail.
Serein, et vigilant, Sarkozy a stigmatisé le racisme, en recevant mercredi le dernier rapport de la HALDE. Il a surpris son monde en promettant une loi pour autoriser cette autorité à mener des contrôles inoppinés dans les entreprises. Bonne idée. On ne comprend cependant pourquoi cette annonce n'aurait pas pu muscler le rapport, très modeste, de Yazig Sabeg, son tout nouveau commissaire à la Diversité et à l'Egalité des Chances, remis il y a 8 jours.... Fallait-il conserver un effet d'annonce ?
Serein et victorieux, Nicolas Sarkozy a célébré jeudi le "succès" de l'autoentreprenariat. 150 000 personnes ont choisi ce statut mis en place en janvier: «Le succès de l'auto-entrepreneur est en passe de devenir un phénomène de société. Si nous continuons sur le rythme actuel, c'est plus de 300.000 personnes qui lanceront leur propre activité en tant qu'auto-entrepreneurs en 2009, malgré la crise que nous traversons». 300 000, c'est aussi le nombre de destructions d'emplois dans le secteur marchant qu'on attend d'ici fin juin... L'autoentrepreneuriat est statut de complément qui permet d'annoncer des créations quelque-part.
Voici pour l'écume de Sarkofrance, celle des bonnes nouvelles, de l'écoute et du partage. Il ne fallait chercher bien loin pour démasquer l'illusion. L'autre face de cette même semaine est comme toujours bien plus sombre.
... ou le bâton
Dimanche soir, Eric Besson avait ouvert le bal des mauvais tours et de la fermeté. Inquiet des retards, il a signé les contrats d'assistance aux sans-papiers dans les centres de rétention. Il a pris peur. La Cimade contestait cette attribution. Elle avait déposé un recours. Un juge avait ordonné la suspension de cette procédure pour vingt jours, et organisé une audience le 6 mai dernier. Lors de cette audience, l'avocat du ministère était visiblement mal préparé. Il laissa même entendre que les associations humanitaires pouvaient finalement se regrouper dans l'échange et la gestion de leurs missions. Un comble, puisque cette possibilité était justement exclue par Brice Hortefeux, qui voulait affaiblir la Cimade en découpant le territoire. Le juge avait accepté de reporter sa décision au 13 mai, alors que le délai légal de la suspension s'arrêtait quelques jours avant. Eric Besson l'a pris de vitesse et signé ses contrats. Le découpage géographique sera mis en oeuvre. Besson a gagné. La procédure de recours est plantée.
Mardi, Julien Coupat est resté en prison. Sa 4ème demande de mise en liberté a été rejetée. Depuis 6 mois qu'il est détenu, on se demande quelles sont donc ces fameuses charges, si ce n'est le soupçon. La police piétinne, le juge patiente, la justice trébuche. Justice lente d'un Etat soupçonneux. La Sarkofrance aime écraser des fourmis avec son marteau. Un professeur de philosophie en a fait l'expérience. En février dernier, à la gare de Marseille-Saint Charles, il avait tourné en dérision un contrôle policier qu'il jugé musclé, en criant à l'encontre des quelques policiers: "Sarkozy, je te vois !". Il comparaîtra le 19 mai pour atteinte à la tranquilité publique, sans rire. Justice rapide d'un Etat sans humour.
Mardi toujours, Sarkozy a calmé les ardeurs de ceux qui croyaient le président à l'écoute de leurs critiques contre la loi Bachelot: "Je crois que nous avons trouvé un bon équilibre, nous n'irons pas plus loin." Un équilibre si bon que les députés UMP n'ont même pas pu le voter, puisque le texte est étudié "en urgence" à l'Assemblée Nationale.
A Radio France, Jean-Luc Hees a pris ses marques. Mardi, une réunion de passation de pouvoirs avec Jean-Paul Cluzel s'est déroulée à huit-clos. Le même jour, on apprenait que Philippe Val, le patron de Charlie Hebdo, quittait son journal pour Radio France. Sarkozy a déplacé l'ouverture politique dans les médias. En nommant Hees, puis indirectement Val, il clive l'opposition, dont une partie tient encore l'ex-patron de Charlie Hebdo dans son estime. Jean-Luc Hees n'a pas attendu trois jours pour se faire remarquer: Vendredi, il a débarqué en direct dans le studio du 7/10, échauffé et échaudé par les propos tenus à l'instant par Edwy Plenel, le fondateur de Mediapart. Ce dernier dénonçait le "rapport clientéliste des médias à l’Etat". Mediapart lutte pour sa survie, avec 11 plaintes déposées contre elle par les Caisses d'Epargne de François Pérol. Concernant Jean-Luc Hees, il ne lui est peut-être pas agréable de tenir sa légitimité d'une nomination si monarchique. Qu'il se rassure, il n'est pas le seul. Après Stéphane Richard, le directeur de cabinet de Christine Richard placé à France Télécom, voici Luc Vigneron, ancien patron de GIAT Industries, qui s'est fait imposé, par l'Elysée, à la tête de Thales, contre l'avis du comité de sélection des administrateurs.
Mercredi, Rachida Dati continuait ses excès. La Garde des Sceaux a pris l'habitude de se montrer à l'Assemblée Nationale. Elle fustige l'incurie de ses prédécesseurs, et n'hésite pas à sombrer dans le mensonge, en accusant la gauche de n'avoir construit aucune nouvelle place de prisons entre 1997 et 2002. La ministre s'est même permise de publier deux communiqués d'une rare violence contre Elisabeth Guigou: "Je laisse le soin aux Français de juger de la grandeur d’Elisabeth Guigou en tant que ministre de la justice". Même à droite, on attend avec impatience son départ du gouvernement.
Jeudi, François Fillon a préparé les esprits à la rigueur. Une rigueur toute particulière, puisqu'elle sera essentiellement sociale. Dans un long entretien au Figaro, le premier ministre a promis qu'il n'augmenterait pas les impôts (ce serait inefficace selon lui), même si l'espoir d'un retour à l'équilibre des comptes publics en 2012 est définitivement compromis. Le gouvernement a refusé de revoir son paquet fiscal: la défiscalisation des heures supplémentaires grèvent toujours les comptes publics et sociaux d'environ 4 à 5 milliards d'euros. Le bouclier fiscal, créé sous Chirac, magnifié sous Sarkozy, coûte 450 millions d'euros par an, sans aucun effet sur l'évasion fiscale. La défiscalisation des intérêts d'emprunts immobiliers est totalement tombée à plat : la pénurie de logements est telle que le paquet fiscal a involontairement prolongé une bulle immobilière de quelques mois . Et au total, la France aborde 2009 avec un nouveau déficit budgétaire record de 104 milliards d'euros.
Fillon a identifié ses deux principales pistes d'économies pour redresser les comptes publics : la réduction des dépenses de l'Etat et des dépenses "sociales". Rassurez-vous, ce sera fait dans la plus grande équité. "Nous allons faire une deuxième vague d'économies à partir des études déjà menées et nous allons approfondir l'analyse des dépenses sociales au regard d'une seule exigence : l'équité." La semaine dernière justement, Eric Woerth, son ministre du budget, puis Brice Hortefeux, ministre des Affaires Sociales, avaient sonné la charge contre la fraude sociale (travail illégal, fraude aux organismes sociaux). Un curieux vacarme quand on sait qu'elle est marginale par rapport à l'évasion fiscale des entreprises et des particuliers.
Vendredi 15 mai, un RMiste de 43 ans a passé une annonce sur Internet: échange rein contre CDI. Le même jour, on apprenait que Nicolas et Carla Sarkozy avaient "craqué" pour l'appartement d'Yves Saint Laurent, d'une valeur de 10 millions d'euros.
Les symboles, comme la réalité, font mal en Sarkofrance.
Ami Sarkozyste, où es-tu ?