Il y a des jours comme ça où, malgré quelques notes de Buckshot LeFonque ou Ronny Jordan, on sent poindre un petit mal de crâne... Dans l'optique d'un bon billet bien charnu, on a beau chercher dans l'actualité un point vraiment saillant ou une nouvelle avancée marquante des crétins collectivistes de gauche ou des abrutis collectivistes de droite mais on est simplement confronté à cette triste réalité : c'est l'avalanche, le trop-plein. On ne sait plus où donner de la tête. Bilan : on se la cogne et on chope mal.
Cependant, il faut se faire une raison : tous les sujets ne se valent pas. Même si l'actualité économique est actuellement très chargée et alors qu'on apprend que la France "échappe à la catastrophe" avec une récession de plus d'1% - insérer des rires ici - , il semble souffler comme un petit vent de panique dans les couloirs du ministère de la Culture.
C'est ce petit vent qui permet de détacher des odeurs saumâtres de l'actualité quotidienne le fumet particulièrement putride de toute l' "Affaire Hadopibanel" , monstre mutant venu de l'espace intersidérant, croisement démoniaque d'une loi contraire à la nature et d'une femelle sans scrupules.
Et pendant que le Cinéma, dans ses fastes habituels de la Côte d'Azur, fête ses dernières heures avant changement de business-model, dans la grisaille parisienne, les rebondissements sur la loi Création, Internet et Petits Arrangements entre Majors s'enkystent dur.
Vous allez adorer détester Hadopi
Au train où vont les choses, le prochain remaniement ministériel devrait probablement consacrer l'éjection propre et simple d'une ministre dont l'incompétence dans le domaine informatique est manifeste, mais qui en outre aura montré une gestion de son staff assez douteuse. Daniel Schneidermann, dans un billet malheureusement plus en ligne :( , évoquait d'ailleurs toute la puissance délétère de cette affaire dans laquelle un cadre de TF1 se voyait viré à cause de son opposition à HADOPI, suite à des fuites provoquées par le cabinet de la ministre.
Les éléments s'accumulent en effet contre Albanel. Entre le Canard Enchaîné qui fusille son argument "J'ai rien demandé", les députés PS qui réclament conséquemment sa démission, la presse
qui s'en donne à coeur joie pour voler dans les plumes de la bougresse et, par son truchement, dans celles de tout le gouvernement, on sent que la loi aura bien du mal à trouver une application réelle dans le monde dur et concret.
Et pour paradoxal que ce soit, c'est bien effectivement sur Internet, dans le monde virtuel, qu'on trouve la plus concrète et la plus dure réponse au lobbying éhonté que la France subit de plein fouet par les majors ... et par TF1. Car à présent, aucun doute n'est permis : TF1 a été choppé en plein trempage de biscuit :
on en apprendra de belles : et notamment l'existence, révélée par Soula, d'un responsable du lobbying de TF1, chargé par sa chaîne de faire voter les lois de TF1 aux députés.
Alors évidemment, devant ce genre de comportements, les internautes se lâchent. Et lorsque la chaîne se fend d'un communiqué et laisse son forum ouvert pour commentaires, c'est la déferlante. Des centaines de milliers de lecture, des centaines de commentaires, tous relativement gratinés. On pourra retrouver quelques captures d'écran sur le site HADOPU et un bon échantillon des réactions ici.
Capture d'écran chez TF1. Savoureux.
A en juger par le nombre, TF1 a perdu gros. Bien plus qu'un collaborateur plein de bon sens, la chaîne a aussi perdu des téléspectateurs par milliers. Elle s'est taillée une réputation catastrophique sur toute la toile francophone. Il y a fort à parier que les annonceurs y réfléchiront à deux fois lorsqu'ils devront proposer un nouveau service internet : la chaîne a maintenant le pouvoir de transformer le hype & fashion en ringard et le moderne en suranné, en un mot, TF1 a choppé le Toucher Qui Gangrène.
De fil en aiguille, il est probable que si cette entreprise ne modifie pas substantiellement son modèle économique, elle va au devant de difficultés sérieuses. Eh oui : à jouer avec le feu au-dessus de ses gonades, on risque de finir les couilles grillées.
Or, le problème tout à fait typique de TF1 illustre exactement, sur une micro-échelle, le problème plus général des Majors du monde culturel, incapables d'imaginer un monde où, soyons fous, les artistes gagneraient leur subsistance autrement que par la coercition que la loi met en place. J'évoquais des artistes au début de ce billet, je vais en évoquer d'autres : en effet, alors même que la Fraônce, de plus en plus "citoyenne" et de moins en moins "festive", se lance à corps perdu dans une législatite aigüe, des artistes comme ColdPlay proposent leurs productions gratuitement, et d'autres montrent chaque jour qui passe qu'un autre modèle économique est possible.
Ce qui est plus fort encore, c'est que cette manie des Majors d'utiliser le lobbying comme clef de voûte de l'arc-boutant qu'ils forment sur leurs vieilles habitudes est une manie qu'ils calquent complètement sur l'ensemble des manies typiques des corporations françaises, en général, et des politiciens, en particulier.
En effet, si TF1 fait tout pour que rien ne change, si les Majors s'agitent ainsi pour que rien ne change, c'est qu'ils sont à bonne école : tout le système français se comporte de la sorte et chaque acteur fait en sorte, de son côté, que rien ne change.
Ainsi, à l'heure où j'écris, des sommes colossales sont dépensées pour que différents secteurs survivent alors qu'ils sont en déficits chroniques et ne rapporteront plus jamais; des énergies considérables sont mobilisées pour que, surtout, rien ne change dans des douzaines de domaines ; des mesures sont gravées dans le marbre pour rendre toute prise de risque impossible, voire dénoncée et lourdement sanctionnée. L'ensemble de la politique en France est ainsi devenu un jeu de ping-pong lassant et répétitif où chaque réformette en faveur d'un groupe d'intérêt est immédiatement contrée par les autres groupes d'intérêts opposés, pour être remplacée par une autre réformette encore plus microscopique. Pareille à la flèche de Zénon, la France semble n'avancer plus que par moitié de ce qu'elle avait fait précédemment.
Ce que toute cette affaire Hadopibanel démontre, c'est la totale calcification du système où plus personne ne peut regarder la réalité en face : plus rien n'avance, plus aucune idée novatrice n'est proposée, plus aucun risque n'est pris.
Heureusement, il nous reste la puissance de la funk.