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Les lamentations d'ipou-our

Publié le 16 mai 2009 par Rl1948


  Le 5 mai dernier, dans un articulet que je voulais introductif, historiquement parlant, aux deux modèles exposés dans la vitrine 11, la dernière que nous rencontrerons dans cette salle 4 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, je vous avais promis, ami lecteur, de vous donner à lire un texte datant de ce que les égyptologues nomment la Première Période intermédiaire (P.P.I.), soit  un relativement court moment entre l'Ancien Empire pharaonique et le Moyen, puisqu'il s'étend sur seulement une petite centaine d'années, approximativement de 2134 à 2040 avant notre ère.
   Ce texte à portée quelque peu philosophique, empreint d'une relative nostalgie, est censé refléter l'état plus que chaotique de l'Egypte à l'extrême fin de l'Ancien Empire en nous peignant un homme égyptien perturbé par l'angoisse, habité par le doute parce que  privé des repères sociaux et religieux qui tant le rassuraient auparavant. 
LES LAMENTATIONS D'IPOU-OUR
   Indépendamment du fait que les deux derniers siècles du IIIème millénaire ont profondément marqué le Proche et le Moyen Orient par des bouleversements à la fois climatiques mais aussi humains pratiquement contemporains les uns des autres, l'Egypte quant à elle, en proie à des désordres intérieurs, à une importante récession économique - rien de nouveau sous le soleil, fût-il de Rê ! -, à la famine même, rendit compte de cet état de fait dans le domaine artistique avec, notamment au Louvre, ce bas-relief de calcaire (E 17381) que l'on rencontre au premier étage, dans la vitrine 19 de la salle 22, et dont le cartel précise qu'il s'agit de Bédouins mourant de faim dans le désert, aux confins du pays, sous le règne du pharaon Ounas (Vème dynastie - XXIVème S. A.J.-C.)
 
   Et le consigna également, dans le domaine littéraire avec, entre autres textes, ces Lamentations (on trouve aussi parfois dans certains ouvrages : Admonitions) d'un certain Ipou-Our (ou Ipouer), scribe qui s'est ainsi épanché en plusieurs "poèmes" sur cette  crise qui sévissait à l'époque en Egypte.
   Le document de référence aux traductions contemporaines, que les égyptologues appellent "Papyrus d'Ipou-Our", fut en fait découvert en relativement mauvais état à Memphis, au début du XIXème siècle. En 1828, le Musée de Leyde, aux Pays-Bas, en fit l'acquisition et l'étiqueta "Leiden 344".
   Ce n'est que quelque quatre-vingts ans plus tard, en 1909 exactement, que le spécialiste incontesté pour l'époque de l'écriture hiératique, Sir Alan Gardiner, traduisit le texte entier rédigé en cette cursive à la XIXème dynastie.
   LES LAMENTATIONS D'IPOU-OUR
   Beaucoup de scientifiques, de spécialistes, mais aussi, malheureusement, de "passionnés" moins sérieux veulent voir d'évidentes similitudes entre le texte biblique de l'Exode et certaines catastrophes auxquelles Ipou-Our fait allusion (que le monde égyptologique appelle communément "Les 10 Plaies d'Egypte") et le papyrus de Leyde, allant, pour certains, jusqu'à vouloir entrer dans de fumeuses - à mes yeux, à tout le moins -, théories ésotériques, voire même évoquer des mondes parallèles (on trouve tout, sur le Net ...)
   Vous accepterez, ami lecteur, que je n'entre pas ici dans ce débat et que, sans plus attendre, je vous propose quelques extraits significatifs de ce texte égyptien antique, laissant aux exégètes de la Bible, s'il y en a l'un ou l'autre parmi vous, le soin de trancher. 
 

   Voyez donc, les hommes démunis sont devenus propriétaires de richesses et celui qui ne pouvait faire pour lui-même une paire de sandales possède des monceaux.
   Voyez donc, les riches se lamentent, les miséreux sont dans la joie, et chaque ville dit : " Laissez-nous chasser les puissants de chez nous."
   Voyez donc, l’or et le lapis-lazuli, l’argent et la turquoise, la cornaline et le bronze, la pierre de Nubie entourent le cou des servantes, tandis que les nobles dames errent à travers le pays et que les maîtresses de maison d’autrefois disent : "Ah ! Puissions-nous avoir quelque chose à manger !"
 
   Voyez donc, Elephantine, Thinis, etc. de Haute-Egypte ne paient plus d’impôts, à cause de la révolte. On manque de fruits, de charbon de bois.
   Autrefois, le cœur du roi était heureux quand les porteurs d’offrandes s’avançaient vers lui, et quand venaient les pays étrangers : c’était notre empire, c’était notre prospérité. Qu’allons nous faire à ce propos ? Tout est tombé en ruine.
   Voyez donc, celui qui ne possédait rien est maintenant celui qui possède.
   Voyez donc, les Grands ont faim et souffrent, mais les serviteurs sont servis.
   Voyez donc, les bureaux administratifs sont ouverts, les rôles ont été enlevés, de sorte que celui qui était un serf peut devenir le maître des serfs.
   Voyez en vérité une chose a été faite qui n’était pas arrivée auparavant : nous sommes tombés assez bas pour que des misérables enlèvent le roi.
   Voyez en vérité, nous sommes tombés assez bas pour que le pays ait été dépouillé de la royauté par un petit nombre de gens sans raison.
   Voyez, les juges d’Egypte sont chassés à travers le pays, chassés des Maisons de la royauté.
   Voyez, aucune fonction n’est désormais à sa place, tel un troupeau qui s’égare sans berger.


(Grimal : 2005, 7; Lalouette : 1984, 215 sqq.)


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