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et je marche longuement

Publié le 15 mai 2009 par Lironjeremy
et je marche longuement et je marche longuement

Je vais dans des rues vides intérioriser des formes, devenir perméable. Et je marche longuement, comme la ville est étroite je reviens sur mes pas, d’une manière détachée comme de la survoler. Je l’aborde comme forme et non comme industrie.

Une affaire de chien, j’avais compris de chat et je voyais le leur mais juste un chien perdu, un caniche au poil roussi, piteux. Dans un patois plein d’exclamations il était question de l’attirer avec une gamelle, de le capturer à l’épuisette qu’un se proposait de descendre du grenier, et on s’imaginait l’aventure en l’entrecoupant de considérations générales sur le temps, mais d’abord la passer dans la baignoire parce qu’elle aura pris la poussière, l’épuisette. Et comme l’imagination travaillait derrière les mots, dans un éclat de voix et un mouvement de recul on disait la prise. Ses débattements. Dans le cadre de la fenêtre, derrière un bouquet de fleurs synthétiques ternies par la poussière, le chient qui repasse. Et s’il s’avérait sauvage et décidait de mordre on avait un fusil. Il faut y penser à ça, il faut se tenir prêt. Et on aurait bien ouvert la porte pour l’attirer le curieux, certainement il serait venu par là et ça ont peut le confirmer plusieurs fois, il serait venu pas là, il rentre, on sait s’y prendre : un peu de nourriture. Mais bon, l’air est frais, c’est pas qu’on aurait froid –moi j’ai jamais froid, mais quand même.Des jours qu’on le voit errer. Oui des jours. Et de confirmer que passant ailleurs un autre jours on l’a vu aussi. Alors oui ce chien, maintenant d’en faire leur petite histoire. Moi j’avais ouvert la porte du bistro après avoir marché une demi heure sous cette bruine grise. D’abord attiré à l’angle par une carte vieillie qui décrivait le coin, puis l’enseigne elle aussi surgie des âges. Des rideaux de dentelle jaunie à travers la fenêtre. A les écouter en fermant les yeux on aurait pu croire à quelque bête erratique passablement sauvage traversant une petite ville désertée comme on en voit dans les westerns. La musique du vent prend des colorations lugubres, on se blotti derrière ses fenêtres. La bête passe. Je m’étonne de la démesure du niveau de préoccupation, des plans qu’on élabore et le pauvre chien qui croise au large du bistrot, en trottant sous la bruine. Le mobilier est d’époque, légèrement patiné, les publicités ternies pour le chocolat Choki m’enthousiasment. L’établissement incroyablement exigu m’évoque les dessins de Bruno Schults. Les personnages, trop grands semblent évoluer dans un décors de théâtre réduit. L’impression en poussant la porte de pénétrer dans une cuisine de village dans laquelle jeunes et ancêtres se serrent - pareillement vieillis. Les regards sont durs mais déjà on a passé la porte, pas reculer. Quatre faces rougies qui semblent enfouir des yeux petits comme des têtes d’épingles. Un derrière des culs de bouteille, l’autre devant. Une vieille passablement édentée courbée sur ses deux mains qui accompagne en contre-temps chaque remarque d’un chuintement expressif. Un chien dans la remise qui aboie. Les deux gras de part et d’autre du comptoir, silhouettes massives et brutes à l’allure enfantine. Sans desserrer les dents enregistre ma commande, j’ai l’impression que je vais me faire jeter. On rentre pas comme ça chez les gens. Je détourne les yeux et ramène à ma table le verre d’orangeade. On répète des mots pauvres de façon trébuchante et sonore comme si de les marteler vous projetait au cœur de grands événements. C’était toute une aventure, le chien passait les matinée dans les parages du bar. On digressait gentiment sur chaque bribe de phrase. La météo c’est décidément plus ce que c’était. Oh non, plus ce que c’était, la météo. Non. Pfff. Un juke-box à côté de moi clignotait discrètement par dessus le fine fleur de la chanson française. A intervalle régulier une page se tourne sur les mélodies les plus moelleuses, toujours un portrait tête penchée sur un fond romantique. On parle encore du chien mais dans les phrases le chien disparaît on ne dit plus que des mots sonores prononcés dans le vide. J’éprouve le sentiment spécial de m’être détaché du monde. Je voudrais prolonger indéfiniment l’état d’indécision dans lequel je me perds, penche la tête pour avaler le ciel. Je me vois défiler derrière la vitre. Règle ma commande, pose le verre au comptoir et passe sans hâte la porte pour disparaître à l’angle.


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